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THERESE
THÉRÈSE
Marie-Françoise-Thérèse Martin dite Sainte-Thérèse-de-l'Enfant-Jésus (Alençon : 36, rue Saint-Blaise 2/01/1873- Lisieux 30/09/1897) ; elle entre au Carmel de Lisieux le 9 avril 1888 à 15 ans ; elle écrivit son autobiographie : l'Histoire d'une Âme (1897) ; béatifiée le 29 avril 1923 ; canonisée le 17 mai 1925 par Pie XI. Déclarée le 3 mai 1947 coprotectrice de la France avec Jeanne d'Arc. Patronne des missions étrangères avec François-Xavier le 14 décembre 1927. Fête : 1er octobre.
BALLEROY :
"Église St Martin et St Eloi de Balleroy : A l'origine, près du château, se trouvait une chapelle construite vers 1030. De cette église, Mr Arcisse de Caumont ne dit pas grand chose. Étant du XVIIe siècle, elle ne présente pour lui que peu d'intérêt. Jean de Choisy, conseiller du Roi Louis XIII, la fit construire de 1650 à 1651 par François Mansard (1598-1666). La chapelle de la Vierge (croisillon nord) est garnie d'un reliquaire de Ste Thérèse de l'Enfant Jésus."
in Églises et chapelles du Bessin de Dominique Achard ; éditions de Neustrie 1999.
“ Reliquaire de Sainte Thérèse, XXème siècle, église Saint-Martin : Dans le croisillon nord de l'église, la chapelle de la Vierge est consacrée à sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Portraits et ex-voto magnifient la petite sainte de Lisieux. Sous l'autel de 1924, derrière une vitre, se trouvent ses reliques. En forme de coeur, elles sont posées au centre d'une rose elle-même placée sur un coussin or et bleu. Sur l'autel figurent une Vierge à l'Enfant en terre cuite du XVIIIème siècle et deux bannières, de chaque côté. ”
in Le patrimoine des Communes du Calvados, tome 1, Flohic Editions 2001.
BAYEUX :
On trouve dans la cathédrale de Bayeux un reliquaire présentant la dernière phalange d'un petit doigt d'une main de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus.
Concernant cette sainte, voir aussi l’article ci-après extrait de : Les saints dans la Normandie médiévale – colloque de Cerisy-la-Salle, 1996 ; Presses Universitaires de Caen, 2000. Chapitre : “ Les reliques de la cathédrale de Bayeux ” par F. Neveux.
“ Le 31 octobre 1887, Thérèse Martin, âgée de 14 ans, vient à Bayeux, accompagnée de son père, pour demander à Monseigneur Hugonin, l'autorisation d'entrer au Carmel. “ Il pleuvait à verse quand nous arrivâmes à Bayeux... C'est à la cathédrale que commencèrent mes misères. Monseigneur et tout son clergé assistaient à un grand enterrement. L'église était remplie de dames en deuil et j'étais regardée de tout le monde avec ma robe claire et mon chapeau blanc. J'aurais voulu sortir de l'église, mais il ne fallait pas, y penser, à cause de la pluie. Papa, avec sa simplicité patriarcale, me fit monter jusqu'au haut de la cathédrale... Enfin, je pus respirer à mon aise dans une chapelle qui se trouvait derrière le maître‑autel et j'y restai longtemps, priant avec ferveur, en attendant que la pluie cessât et nous permît de sortir. En redescendant, Papa me fit admirer la beauté de l'édifice qui paraissait beaucoup plus grand étant désert, mais une seule pensée m'occupait et je ne pouvais prendre de plaisir à rien. ” notes manuscrites (folio 53).
In La cathédrale de Bayeux par G. Pouchain, Éditions Charles Corlet 1984.
BOULOGNE-BILLANCOURT
Article extrait du site Le Parisien du 29 octobre 2014 : http://www.leparisien.fr/espace-premium/hauts-de-seine-92/les-reliques-de-sainte-therese-volees-dans-l-eglise-29-10-2014-4248825.php#xtref=http%3A%2F%2Fwww.alvinet.com%2Factualite%2Fsimilaire%2F22996640
« Les reliques de sainte Thérèse volées dans l'église
Pourtant précieusement gardées, les reliques de sainte Thérèse de Lisieux de la paroisse Sainte-Thérèse-de-l'Enfant-Jésus à Boulogne-Billancourt ont disparu. Elles ont été volées lundi, à l'intérieur même de l'édifice religieux, situé rue de l'Ancienne-Mairie.
Un médaillon de moins de 10 cm de diamètre
Celui ou ceux qui les ont dérobées savaient manifestement ce qu'ils étaient venus chercher et où se trouvait l'objet sacré dans la chapelle dédiée à sainte Thérèse.Ce coin de l'église contient un portrait de la carmélite canonisée en 1925 et des fragments de ses os. Ceux-ci étaient enfermés dans un médaillon de moins de 10 cm de diamètre. Le bijou était conservé à l'abri dans un petit coffre fermé à clé. Le prêtre a découvert la boîte fracturée et vide, lundi en fin de matinée. L'église ayant ouvert ses portes à 8 heures, le vol a été commis entre 8 heures et 11 heures. Les premiers éléments de l'enquête, menée par le commissariat de Boulogne-Billancourt, sont maigres. Pour l'heure, aucun témoin n'a signalé la présence d'intrus aux abords du lieu de culte. La nouvelle du cambriolage n'était pas encore parvenue à l'évêché hier soir.
Construite durant les années 1930, l'église Sainte-Thérèse se distingue par son architecture moderne et l'emploi de brique et de béton dans sa construction. Jean Lambert-Rucki, peintre et sculpteur, a réalisé son intérieur sculpté. L'artiste franco-polonais a en particulier réalisé le grand Christ en croix en bois sculpté placé dans le chœur.
« C'est assez surprenant », déplore l'abbé Marc Ketterer. « J'ai découvert le reliquaire, qui mesure 1 m de long et donc pas évident à transporter, fracturé. J'espère que la ou les personnes qui ont fait ça nous rapporteront les reliques », souffre l'ecclésiastique. » Le Parisien 29/10/2014LISIEUX :
"Le 2 janvier 1873, à 11 heures et demie, naît à Alençon Thérèse Martin. En 1877, Mr Martin, devenu veuf, s’installe à Lisieux, dans la maison des Buissonnets. Thérèse a quatre ans et demi. Le jour de la Pentecôte 1887, Thérèse demande à son père l'autorisation d'entrer au Carmel pour ses quinze ans. Le 20 novembre 1887, le pape Léon XIII la reçoit en audience. Le 9 avril 1888, elle entre au Carmel. Le 10 janvier 1889, elle prend l'habit. Le 24 septembre 1890, elle prend le voile. Le 30 septembre 1897, vers 19 heures, elle rend l'âme, à l'age de 24 ans, emportée par la tuberculose, en murmurant : "Oh! je l'Aime! Mon Dieu, je vous Aime". L'année suivante voit la publication de son autobiographie "Histoire d'une âme". Le succès du tirage initial fut foudroyant. Ce livre "ramenait l'Eglise vers l'essentiel, l'Evangile vécu dans sa simplicité". Un livre pour croyants et non-croyants. Les premiers pèlerins visitent sa tombe située dans le cimetière municipal. Les témoignages relatifs aux guérisons et aux faveurs spirituelles obtenues grâce à son intercession se multiplient. En 1914, la procédure de béatification est déclenchée. Le 26 mars 1923, 50 000 fidèles assistent à l'exhumation et au transfert des restes de Thérèse à la chapelle du Carmel. Le 29 avril 1923, Thérèse est béatifiée par Pie XI. Le 17 mai 1925, 60 000 fidèles assistent à sa canonisation par Pie XI. La ville de Lisieux est en liesse pour célébrer "la plus grande sainte des temps modernes" (Pie X). Thérèse est patronne secondaire de la France (depuis le 3 mai 1944) et patronne des Missions (depuis le 14 décembre 1927).
in Guide de Lisieux et de ses environs par J.-M. Foubert, Editions Ch. Corlet, 1988.
"Oui, malgré ma petitesse extrême, j'ose fixer le Soleil divin de l'amour..." Ainsi s'exprime sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, consciente de sa fragilité terrestre et de sa robustesse d'âme. Canonisée un quart de siècle seulement après son décès, n'a-t-elle pas prouvé que l'exploit qui mène vers la sainteté pouvait n'être que spirituel ? Venue au monde le 2 janvier 1873 à Alençon, neuvième enfant d'une famille pieuse, Marie Françoise Thérèse Martin pouvait s'attendre à un paisible passage ici-bas. Des parents unis, de charmantes soeurs : une existence bourgeoise en perspective. Le destin frappait en 1877 : sa mère disparaissait, victime d'une tumeur maligne à 46 ans. Les Martin s'installèrent à Lisieux, aux Buissonnets. Bientôt, grâce à la lumière de l'enfance "cette riante habitation devint le théâtre de bien douces joies". Les signes ne tardèrent pas. Une nuit, revenant de chez son oncle, Thérèse s'écria : "Mon nom est écrit dans le ciel." De fait, la constellation d'Orion dessine comme un T. Au cours de l'été 1879, elle vit dans le jardin de Lisieux son père - alors en déplacement dans l'Orne - mais vieilli, le visage voilé de sombre. Cette vision se révélerait prophétique, annonciatrice du destin. En 1882, sa soeur Pauline, devenue "sa petite mère", entrait au Carmel de Lisieux. A la suite du choc de la séparation, Thérèse tomba malade. Après avoir lutté contre des hallucinations qu'elle estimait démoniaques, elle vit s'animer à ses yeux une statue de la Vierge. Après l'entrée de sa soeur Marie au Carmel, sa vocation se précisa le jour de Noël 1886. A la Pentecôte 1887, Thérèse informa son père de son projet. Il restait à convaincre les autorités ecclésiastiques de laisser entrer au couvent cette enfant de quinze ans. M. Martin, après le refus du supérieur de Lisieux, conduisit sa fille à Bayeux, auprès de l'évêque, puis à Rome où elle osa parler au pape Léon XIII. Finalement, Thérèse était admise au Carmel le 9 avril 1888 et prononça ses voeux en 1890, devenant soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face. Elle y reçut "plus d'épines que de roses". Aux mortifications et aux fatigues se mêla la peine éprouvée à la mort de son père, survenue en 1894 (il avait été paralysé dès 1888). Cette même année 1894, sa soeur Céline, naguère compagne de jeux, la rejoignit au cloître. La santé, toujours délicate, de Thérèse ne résista pas aux rigueurs de la vie conventuelle. Atteinte d'une maladie de poitrine, elle s'éteignit le 30 septembre 1897, après des mois de souffrances. Béatifiée dès 1923, soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus fut canonisée en 1925. Elle a raconté sa vie dans Histoire d'une âme.
in Les Normands de Basse-Normandie dans la Mémoire des Rues de Claude Le Roy, éd. Ch. Corlet 1982.
On voit dans la chapelle du Carmel (au centre de la ville), la châsse où se trouvent les reliques de Thérèse qui vécut dans le Carmel de 15 à 24 ans. Dans la basilique, sur la colline, se trouve un reliquaire offert par le pape Pie XI contenant deux os du bras droit de Thérèse.
“Au transept, il faut s’arrêter devant le reliquaire de bronze offert par le pape Pie XI, contenant les os du bras droit de sainte Thérèse. Il est placé au centre d’un immense ciborium de marbre dont le fronton est occupé par un haut relief : la Vierge assise et présentant l’enfant et une inscription reproduisant les paroles de sainte Thérèse : “Elle est plus Mère que Reine.”
in La basilique Sainte-Thérèse, numéro spécial des Annales de Sainte Thérèse de Lisieux n° 12, décembre 1970.
“ Par sainte Thérèse, Lisieux est devenu un lieu universel de pèlerinage. On vient, en effet, du monde entier prier la sainte normande, devenu sainte par l'exemple de piété et d'acceptation d'une vie de souffrances. Sous l'état civil de Marie-Françoise‑Thérèse, Thérèse Martin est née à Alençon le 2 janvier 1873 au sein d'une famille très pieuse ayant eu neuf enfants, cinq filles et quatre garçons (morts en bas âge). Thérèse était la dernière. Très tôt, sa mère l'initie à la prière. Mais un drame frappe la famille. La mère, atteinte d'un cancer du sein, décède. Thérèse est alors âgée de moins de 5 ans. Elle ressent très douloureusement cette disparition. Ce drame conduit son père, Louis Martin, à quitter Alençon pour Lisieux où un oncle maternel de Thérèse est pharmacien. La famille s'installe ainsi aux Buissonnets, propriété, située sur la route menant à Pont-l'Evêque. Dans cette grande demeure, Thérèse va perdre sa spontanéité, pour devenir de plus en plus sensible, réservée. Elle prie énormément en compagnie de sa soeur Pauline. A 8 ans, elle entre à l'école des bénédictines de Lisieux. Elle y passe cinq années d'une bonne scolarité. mais qui lui seront pénibles en raison de son deuil, de sa fragilité physique et de sa sensibilité particulière. Son père la retire de cette institution au mois de mars 1886. Désormais, elle poursuivra le travail scolaire sous la conduite de maitres assurant des leçons particulières. Le départ pour le Carmel de Lisieux de sa soeur Pauline à laquelle elle est très liée marque un tournant difficile et un moment important dans sa vie. Elle tombe malade. Elle guérit. Par la suite, elle entre au Carmel de Lisieux le 9 avril 1888. Elle n'a guère plus de 15 ans. Elle prendra l'habit au début de 1889, et le voile le 24 septembre de la même année. En 1894, elle commence la rédaction de ses souvenirs personnels et, en 1895, elle achève son premier manuscrit. Au début du printemps 1896, elle subit les premières manifestations du mal qui l'emportera. L’année 1897 sera pour elle une année de grandes souffrances physiques. Rongée par la tuberculose, elle continue écriture et prières jusqu'à la fin qui se traduit par une agonie particulièrement pénible. Elle meurt le 30 septembre 1897. Elle est enterrée au cimetière de Lisieux. Dès 1899, les pèlerins commencent à affluer sur la tombe de sœur Thérèse de l'Enfant‑Jésus, la publication de l'un de ses ouvrages ayant fait connaître sa sensibilité et ses prières. Les premiers miracles s'accomplissent. Thérèse de Lisieux sera béatifiée en 1923 (le 29 avril) par le pape Pie XI. Elle sera canonisée à Rome le 17 mai 1925 au cours d'une cérémonie qui attirera plus d'un demi million de pèlerins. A partir de là, le culte se répandit si rapidement que la nécessité apparut de fonder un sanctuaire. Telle fut l'origine de la basilique dont la construction commença en septembre 1929. L’édifice fut inauguré le 11 juillet 1937. Il s'agit d'une réalisation monumentale.
Les pèlerinages n'ont pas cessé depuis la création de cette basilique dont les nombreuses chapelles sont placées sous le patronage de divers pays du monde, des Etats‑Unis d'Amérique à la Pologne, en passant par le Portugal, la Colombie, la Grande‑Bretagne, le Brésil, Cuba, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, l'Ukraine, etc.
À Lisieux, des pèlerinages sont organisés régulièrement. Ils réunissent des foules parfois considérables. Chaque jour, des centaines de pèlerins se rendent dans la basilique. Il suffit de constater le nombre impressionnant de votives de toutes dimensions qui sont posées sur des rampes spéciales pour mesurer l'importance du culte. Or, ces votives, comme leur nom l'indique, correspondent àautant de voeux exprimés. Naturellement, tous les voeux ne touchent pas la santé, mais il n'est pas concevable que la plupart ne soient réservées à des invocations de cet ordre, puisque les pèlerins prient la sainte lorsqu'ils déposent une votive (certains se contentent de prier sans contribuer à la glorieuse illumination du lieu de prières). Une crypte dans laquelle dominent le marbre et les mosaïques retraçant la vie de Thérèse est accessible au public des fidèles. Les ex‑voto témoignent de la satisfaction des demandes. Le culte de sainte Thérèse est très vivant dans presque toutes les paroisses de Normandie. Il n'est à peu près pas d'église qui ne possède la statue caractéristique de la sainte. Les fidèles viennent généralement prier individuellement. Ils fleurissent la statue et allument des cierges. Un tronc est mis à leur disposition. On ne saurait citer tous ces lieux. Nous nous contenterons d'en indiquer quelques‑uns pris au hasard (sans que cela leur confère une autorité quelconque). Ce que l'on peut affirmer, c'est que, parmi les saints protecteurs, sainte Thérèse de l'Enfant Jésus occupe (et de très loin) le premier rang dans toute la Normandie, aujourd'hui encore.
Dans le Calvados, à Aunay‑sur-Odon (ville malencontreusement détruite en 1944), l'église Saint‑Samson présente un joli vitrail moderne sur lequel saint Samson (patron de la paroisse) figure près de sainte Thérèse. On prie surtout la sainte à titre individuel.
À Balleroy, l'église Saint‑Martin possède un reliquaire renfermant des reliques posées sur un coussin. Symboliquernent, cette présentation a adopté la forme d'un coeur contenant une rose, Ce lieu est un lieu d'invocations individuelles.
À Saint‑Paul‑du‑Vernay (canton de Balleroy), la statue de sainte Thérèse mise très en valeur reçoit des fleurs. Des cierges sont brûlés. Un tronc est placé sous les pieds de la statue légèrement au‑dessus d'un prie Dieu, Tout ceci atteste la ferveur populaire et les visites fréquentes.
À Beuvron‑en‑Auge (canton de Carnbremer), le culte est demeuré très vivant. Un vitrail est consacré à la sainte.
À Pont‑d'Ouilly (canton de Falaise), l'une des églises lui est dédiée. ”
in Les saints qui guérissent en Normandie, tome 2, d'Hippolyte Gancel, éditions Ouest France 2003.
“HISTOIRES D’OS” :
“ 1921 : Le pape Benoît XV proclame vénérable Sœur Thérèse de l’Enfant Jésus.
Mars 1923 : Jeudi 29, translation solennelle des restes de Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus dans la chapelle du Carmel. Le char est tiré par quatre chevaux blancs et le cercueil recouvert d'un drap d'or: 40.000 pèlerins le suivent, sans chants ni cantiques. S'agissant d'une cérémonie funèbre, Mgr Lemonnier a prescrit un pieux silence.
Avril 1923 : Le squelette de Sœur Thérèse est incomplet : un petit os dérobé comme relique lors de la première exhumation, en 1908, est restitué, et une dent conservée au Carmel depuis 1884 est ajoutée. La chevelure a été retrouvée intacte. Mais une vertèbre et une côte sont prélevées et envoyées à Rome, une autre vertèbre et une rotule sont remises à Mgr Lemonnier.
Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus est proclamée bienheureuse dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Mgr Lemonnier célèbre l'office. Une phalange d'un doigt de la Carmélite est offerte au pape Pie XI dans un reliquaire du XVIIe siècle en métal doré.
Juin 1923 : A Lisieux, les lundi 4, mardi 5 et mercredi 6 juin, un triduum grandiose fête la béatification de Sœur Thérèse. Les catholiques du Brésil offrent une châsse en argent massif d'un mètre de long et 45 kg, décorée d'émaux de Limoges et de 4 croix en diamants. Mais la chapelle des Carmélites est trop petite pour accueillir la foule des pèlerins, et Mgr Lemonnier transforme le triduum en neuvaine. ” in Le XIXe Siècle à Caen et dans le Calvados 1900-1999, Liberté-Le Bonhomme Libre, novembre 1999.
“ Thérèse de Lisieux, la plus invoquée des saintes : / Une enfance attristée :
S'il est une personnalité déconcertante, et même exaspérante pour tout esprit agnostique, c'est bien Thérèse de Lisieux. Et c'est pourtant à cette Normandie souvent qualifiée de rationaliste - et qui l'est effectivement pour une bonne part d'elle-même qu'appartient celle que Pie X appela “ la plus grande sainte des temps modernes ”.
Le propre des personnalités célèbres est d'être victimes de leur légende. Il en est ainsi pour Thérèse de Lisieux plus que pour aucune autre figure contemporaine. Thérèse est vénérée - ou exécrée - pour une certaine image d'elle-même, que certains de ses écrits ont sans doute contribué à imposer, mais qui simplifie sans doute à l'excès les traits essentiels de sa personnalité.
Thérèse, considérée du point de vue de l'histoire sociale, apparaît d'abord comme une victime : victime d'une bourgeoisie figée dans les archétypes de l'ordre dit “ bien-pensant ”, d'une bourgeoisie sèche et morbide. Rien de moins attirant, vraiment, que cette famille d'Alençon de la seconde moitié du XIXe siècle dans laquelle elle vient au monde. Sans doute les parents de Thérèse, Louis et Zélie Martin, appartiennent-ils à ce milieu catholique que même les incroyants respectent, parce qu'il incarne les valeurs sociales les plus prisées de l'époque. M. Martin et son épouse sont des marchands de dentelle estimés, ils fondent une famille de huit enfants, ils sont connus aussi bien pour leur attachement au “ parti de l'ordre ” que pour leurs convictions religieuses ; on sait, enfin, qu'ils possèdent une fortune moyenne, mais confortable : il n'en faut pas davantage pour jouir de la considération générale. Mais ce décor ne doit pas faire illusion.
Cette famille Martin - dont Thérèse est la dernière enfant vit dans un climat habituel de tristesse. Quand Louis Martin a épousé sa femme, il voulait vivre avec elle dans une continence semblable à celle qui régnait entre la Vierge Marie et saint Joseph. Sa femme, elle, souhaite d’abord avoir des enfants, mais elle est terrorisée quand elle apprend comment ils viennent au monde. Aussi les vues de son mari lui conviendront-elles. Pourtant, moins d'un an après leur mariage, un confesseur les fera changer de conduite. Ils auront huit enfants. Mais Mme Martin confiera que si elle a ainsi accepté d'avoir une nombreuse descendance, c'est afin d'élever ses enfants “ pour le Ciel ”.
Ses enfants, d'ailleurs, seront souvent malades, ce qui n'étonne pas leur mère, persuadée que le bonheur n'est pas de ce monde, et que c'est même “ mauvais signe ” quand il vous favorise. Elle préfère se livrer à un travail acharné plutôt que de se consacrer à l'éducation de ses enfants. Elle sera pourtant très éprouvée par la mort d'un fils, puis d'une fille. Son mari et elle, cependant, surmonteront ces épreuves familiales, et ils participeront ensemble au mouvement d'ordre moral d'après la guerre de 1870, mouvement qui s'exprime notamment par de nombreux pèlerinages collectifs.
Quand Thérèse vient au monde, le 2 janvier 1873, elle est la cinquième fille du foyer. L'aînée de ses sœurs, Marie, a douze ans : c'est une enfant à la fois agressive et scrupuleuse à l'excès, cela d'autant plus que sa mère l'entretient dans un sentiment de culpabilité. Conformément à ses vœux, elle sera la marraine de Thérèse. La seconde fille, Pauline, est la préférée de sa mère ; la troisième, Léonie, déconcerte au contraire Mme Martin, qui lui en veut d'être peu intelligente. Enfin la quatrième, Céline, qui n’a pas encore quatre ans quand Thérèse vient au monde, est, des quatre aînées, la plus dynamique, et elle sera la compagne préférée de la “ petite sœur ”.
Par sa mère comme par ses sœurs, Thérèse est élevée dès ses plus jeunes années selon les normes du rigorisme familial : à quatre ans, elle aime déjà faire le compte des actes vertueux (appelés “ pratiques ”) qu'elle a accomplis dans la journée. Mais elle est, à cet âge, bouleversée par la mort de sa mère, qu'un pèlerinage à Lourdes n'a pu sauver.
L'événement va changer le cours du destin de Thérèse. Les enfants Martin doivent en effet quitter Alençon avec leur père pour Lisieux, où leur oncle et leur tante Guérin (frère et belle-sœur de Mme Martin) ont trouvé une maison pour la famille, avec l'intention d'aider M. Martin dans l'éducation de ses enfants, comme la défunte Mme Martin le souhaitait. Si l'atmosphère d'Alençon n'était pas gaie, celle de Lisieux ne l'est pas davantage. L'oncle Guérin de Thérèse est un notable ‑ un notable catholique obsédé par les progrès de la franc‑maçonnerie et de l'influence juive : ces thèmes ne sont pas seulement développés à l'époque par Edouard Drumont, le directeur de La Libre‑Parole, mais aussi par La Croix, qui se proclame “ le journal le plus antijuif de France ”. Thérèse est fort impressionnée par le combat politique dans lequel son oncle est engagé, et que son père approuve d'ailleurs. Mais c'est surtout la mort de sa mère qui demeure, pour elle, l'événement essentiel. Elle s'en expliquera en ces termes :
“ A partir de la mort de maman, mon heureux caractère changea complètement ; moi si vive, si expansive, je devins timide
et douce, sensible à l'excès. Un regard suffisait pour me faire, fondre en larmes, il fallait que personne ne s'occupât de moi
pour que je sois contente, je ne pouvais pas souffrir la compagnie de personnes étrangères et ne retrouvais ma gaieté que dans l'intimité de ma famille... ”
Mais si la disparition de sa mère l'avait cruellement frappée, elle trouvait un puissant réconfort dans l'affection de son père, quelle admirait profondément, au point de penser qu'il était fait pour être roi de France... tout en préférant qu'il ne l'ait pas été, car il n'aurait pu être en pareil cas son “ roi à elle toute seule ”.
Elle fut cependant très malheureuse quand, à l'âge de huit ans, elle fut confiée par son père à l'école de l'abbaye, dont sa sœur Céline était aussi l'élève. Thérèse ne s'adaptait pas à la vie du groupe, elle ne se sentait relativement épanouie que dans la solitude. Un an après son entrée à l'abbaye, sa sœur Pauline décide d'entrer au Carmel. Thérèse veut suivre son exemple : elle a le sentiment que le Carmel est “ le désert où Dieu veut ,qu'elle aille se cacher ”.
En attendant, elle ne peut supporter que sa “ seconde mère ”, c'est‑à‑dire Pauline, la quitte définitivement. Elle va en tomber malade ; puis, une fois rétablie, elle sera victime de toutes sortes d'angoisses et de scrupules. Ce n'est que dans la nuit de Noël de 1886 ‑ alors qu'elle va avoir quatorze ans ‑ qu'elle retrouve l'espérance. Elle écrira qu'au cours de cette veille, Jésus “ a changé la nuit de son âme en torrents de lumière ”, et elle dira que ce Noël exceptionnel a été marqué par “ sa conversion ”.
Quelques mois plus tard, elle apprend par le journal La Croix, que reçoit son père, qu'un effroyable crime a été commis à Paris, rue Montaigne : un homme d'une trentaine d'années, Henri Pranzini, a tué une jeune femme, sa bonne ‑ et la fille de cette dernière (âgée de onze ans).
Arrêté quarante‑huit heures après le crime, à Marseille, et jugé dans l'été 1887, Pranzini ne cessa jusqu'au bout d'affirmer son innocence. Cependant les preuves retenues contre lui parurent assez convaincantes aux jurés pour qu'ils n'hésitent pas à le condamner à mort.
Profondément émue par les détails de cette affaire qu'elle découvrait dans le journal de son père, et qui lui révélaient un monde aux antipodes de son propre milieu, Thérèse, qui ne doutait pas de la culpabilité de l'accusé, demanda à Dieu d'avoir pitié de lui, et de susciter de sa part au moins un signe de repentir. Elle fut exaucée. Le jour de son exécution, Pranzini persista à s'affirmer innocent, mais, sans vouloir se confesser, il demanda à l'aumônier présent un crucifix, qu'il embrassa par trois fois. Par la suite, Thérèse demanda constamment à ses proches de faire dire des messes pour le criminel, qu'elle appelait “ son premier enfant ”.
L'émotion avec laquelle elle a appris ‑ et vécu ‑ l'épilogue de la dramatique affaire Pranzini n'a pas détourné Thérèse de son désir d'entrer au Carmel. Elle choisit le jour de la Pentecôte 1887 pour demander à son père l'autorisation dont elle a besoin à ce sujet. L'homme auquel elle s'adresse est très affaibli par une maladie récente, qui l'a partiellement paralysé. Va‑t‑il accepter de voir Thérèse suivre l'exemple de sa sœur Pauline, alors qu'une autre de ses filles, Léonie, vient de lui demander d'entrer elle aussi dans les ordres, au couvent de la Visitation ? Mais, pas plus qu'à ses deux sœurs, M. Martin ne fait d'objection à Thérèse.
Thérèse supplie le pape :
Et pourtant l'entrée de Thérèse au Carmel ne sera pas facile. Le supérieur canonique du Carmel de Lisieux, l'abbé Delatroette, était accusé d'avoir exercé une pression morale sur une fille de la ville pour en faire une carmélite ‑ cela par le père de la fille en question. L'affaire, qui avait mis la société de Lisieux en émoi, ne pouvait qu'inciter le supérieur du Carmel à se montrer prudent devant la demande d'une fille aussi jeune que Thérèse : qui plus était, celle‑ci devait aussi obtenir l'autorisation de son oncle, et elle pressentait que M. Guérin serait peu favorable à sa décision, compte tenu de la conjoncture.
De fait, quand elle se décida à faire part de son désir à son oncle, ce dernier lui répondit que l'entrée au Carmel d'une fille aussi jeune qu'elle ferait scandale, et qu'il lui fallait attendre d'avoir au moins dix‑sept ou dix‑huit ans. Mais quand elle revint à la charge, son oncle eut une toute autre attitude : il dit à Thérèse qu'elle était “ une petite fleur que le Bon Dieu voulait cueillir ” et qu'il ne s'y opposerait plus...
Thérèse avait d'autres épreuves à surmonter avant que son rêve ne s'accomplisse. Le supérieur du Carmel, qu'elle était venue voir avec son père, les reçut froidement et finit par leur dire que la décision appartenait à l'évêque du diocèse. Thérèse accompagna son père à Bayeux, où l'évêque leur accorda audience, mais refusa de se prononcer, tout en se déclarant satisfait que M. Martin ait décidé d'emmener sa fille, en pèlerinage à Rome. M. Martin précisa alors à l'évêque que Thérèse profiterait de ce voyage pour demander au pape lui‑même l'autorisation d'entrer au Carmel.
Thérèse est assez déconcertée par l'atmosphère quelque peu mondaine de ce pèlerinage organisé par le diocèse de Coutances, dont la noblesse de la région constituait l'élément principal. Elle est également déçue par les prêtres qui participent au voyage, et dont la foi lui semble moins pure et moins forte qu'elle pouvait l'imaginer. Arrivée à Rome, où elle passera six jours, elle est également choquée de constater que bien des lieux religieux sont interdits aux femmes, lesquelles, écrit‑elle, “ aiment le Bon Dieu en bien plus grand nombre que les hommes ”.
Vient l'audience pontificale, prévue pour le dernier jour. Thérèse trouve le courage de demander à Léon XIII de la laisser entrer au couvent à quinze ans “ en l'honneur de son jubilé ”. Le pape saisit mal la question. M. Révérony, le vicaire général de Coutances qui accompagnait le pèlerinage, lui dit alors : “ C'est une enfant qui désire entrer au Carmel à quinze ans, mais les supérieurs examinent la question en ce moment. ” Le souverain pontife dit à Thérèse : “ Eh bien, mon enfant, faites ce que les supérieurs vous diront. ”
Cette réponse ne satisfait pas Thérèse, qui s'écrie : “ Oh, Très‑Saint‑Père, si vous disiez oui, tout le monde voudrait bien! ” Ce à quoi le pape réplique : “ Vous entrerez si le Bon Dieu le veut. ” Thérèse veut encore insister, mais l'horaire doit être respecté : deux gardes pontificaux entraînent la jeune fille jusqu'à la porte, tandis que Léon XIII lui donne sa bénédiction.
Si rapide qu'il ait été, l'incident n'a pas échappé à certains observateurs : le journal parisien L'Univers s'en fait l'écho, et bien entendu, tout Lisieux va en parler. Aussitôt revenue dans sa ville natale, Thérèse, sur le conseil de sa sœur Pauline, écrit à l'évêque de Bayeux pour lui renouveler sa demande. “ Je comprenais combien il est facile de se replier sur soi-même, d'oublier le but sublime de sa vocation, écrira‑t‑elle, et je me disais : plus tard, à l'heure de l'épreuve, lorsque prisonnière au Carmel, je ne pourrai contempler qu'un petit coin du Ciel étoilé, je me souviendrai de ce que je vois aujourd'hui ; cette pensée me donnera du courage, j'oublierai facilement mes pauvres petits intérêts en voyant la grandeur et la puissance du Dieu que je veux aimer uniquement. ”
L'expression de Thérèse : “ prisonnière au Carmel ” mérite d'être retenue. Elle prouve que la jeune fille ne se fait vas d'illusion sur la condition rigoureuse qui sera la sienne. Son pèlerinage à Rome a été, pour elle, la première occasion de découvrir la diversité et la splendeur du monde. Loin d'être indifférente à ce qu'elle voyait, elle était au contraire éblouie par la beauté des paysages comme par celle des monuments qu'elle visitait. Elle était également heureuse de frayer avec certains de ses compagnons de voyage. Maintenant, elle a conscience qu'il lui faudra renoncer à tout ce que la vie dans le monde peut apporter. Mais elle n'en opte pas moins presque joyeusement pour ce renoncement. “ Mon cœur, dit‑elle, avait assez contemplé les beautés de la terre, celles du Ciel était l'objet de ses désirs, et, pour les donner aux âmes, je voulais devenir prisonnière ! ”
Thérèse dut attendre la réponse de l'évêque plusieurs semaines. Finalement il lui fit savoir qu'il s'en remettait à l'avis de la prieure du Carmel. Celle‑ci consentit à ce que le désir de Thérèse soit exaucé. La cérémonie eut lieu le 9 avril 1888, le jour où le monastère célébrait la fête de l'Annonciation. Le supérieur canonique de la communauté dit en la présentant :
“ Comme délégué de Monseigneur l'Évêque, je vous présente cette enfant de quinze ans, dont vous avez voulu l'entrée. Je souhaite qu'elle ne trompe pas vos espérances ; mais je vous rappelle que s'il en est autrement, vous en porterez seules la responsabilité. ”
L'une des Carmélites de Lisieux dira plus tard que “ toute la communauté fut glacée par ces paroles ”. On l'imagine sans peine. Et l'on comprend que Thérèse ait dit plus tard qu'elle avait conquis la forteresse du Carmel “ à la pointe de l'épée ”.
Elle avait elle‑même prévu que sa vie serait celle d'une détenue. La condition matérielle d'une Carmélite de l'époque était bien, en effet, du même ordre que celle d'une prisonnière.
Sa cellule de huit mètres carrés, aux murs blancs uniquement ornés d'une croix de bois, possède une paillasse posée sur une planche, avec deux couvertures de bure, une cruche d'eau, un banc, un écritoire et une corbeille à ouvrage. Pas de chauffage. Une alimentation aussi austère qu'il est possible, et encore diminuée pendant la période du Carême, où le lait, le beurre et les œufs sont supprimés.
A ce dénuement matériel, s'ajoutent les épreuves de la vie en communauté. Thérèse avait, nous l’avons vu, mal supporté les disciplines de la vie scolaire : ce n'était pourtant rien à côté de ce qui l'attendait au Carmel. La mère Geneviève de Sainte-Thérèse ‑ fondatrice du Carmel de Lisieux ‑ se méfie de cette novice si ardente : elle ne fait rien pour l'encourager. La mère Marie de Gonzague ‑ qui sera par deux fois sa prieure ‑ est d'un tempérament autoritaire et susceptible, et Thérèse aura souvent à en pâtir. Il semble même que Thérèse n'ait pas eu au Carmel de relations cordiales avec ses deux sœurs aînées qui s'y trouvaient déjà : l'atmosphère du couvent ne permettait sans doute pas la renaissance d'une intimité familiale.
La véritable “ petite voie ” :
L'écrivain catholique Gilbert Cesbron a consacré à Thérèse une pièce intitulée Briser la statue. Il entendait par‑là que, pour connaître la sainte de Lisieux, il fallait se débarrasser d’une légende répandue à son sujet par une ferveur souvent mal inspirée.
Mais cette ferveur s'est appuyée sur des écrits de Thérèse elle‑même ‑ et d'abord sur son autobiographie devenue célèbre dans le monde entier, Histoire d'une âme. Cette autobiographie mêle souvent une puérilité déconcertante à d'indiscutables élans spirituels. On ne s'en étonne pas quand on découvre les poèmes écrits par Thérèse, où l'on retrouve tout le mauvais goût des romances de son époque. Il est non poins pénible de voir l'inclination dont elle fait preuve pour l'adjectif “ petit ”, inclination qui lui a valu d'entrer dans l’histoire comme la “ petite sœur Thérèse ”, la “ petite sainte ” ouvrant aux fidèles les secrets de sa “ petite voie ”. Cette sentimentalité mièvre est aux antipodes de la sensibilité contemporaine, et elle explique que beaucoup soient encore plus allergiques au climat de Lisieux qu'à celui de Lourdes.
Et pourtant l'authenticité de l'expérience spirituelle de Thérèse ne peut être mise en doute. De la voie qu'elle avait choisie, elle connut les joies et les transports, mais aussi les épreuves. Ayant décidé d'être une sainte, rien ne lui fut épargné des douleurs sans lesquelles la sainteté ne peut être atteint. La nuit obscure décrite par saint Jean de la Croix, cet état dans lequel l'âme dévouée à Dieu se sent abandonnée par Lui, Thérèse elle aussi l'a vécue. Elle a même eu, à un moment donné, l'impression que sa vocation était “ un rêve, une chimère ”.
Mais elle eut aussi les encouragements les plus inespérés. En plusieurs occasions, elle sentit que la Vierge intervenait directement pour la maintenir dans la voie qu'elle avait choisie. Elle n'avait pas sollicité ces secours d'En Haut, mais elle ne pouvait ignorer qu'ils étaient une réponse à sa faiblesse ‑ cette faiblesse qui l'avait conduite au seuil du désespoir. Car elle savait qu'elle ne pourrait atteindre son but par ses propres forces, qu'il lui fallait l'assistance divine, et que la sollicitude de Dieu à son égard se manifesterait d'une manière qu'elle ne pouvait prévoir. “Ne vous imaginez pas, a‑t‑elle écrit, que vous pourrez monter même la première marche. Mais le Bon Dieu ne demande de vous que de la bonne volonté. ” Et elle dit aussi, s'adressant à Jésus : “ Je suis trop petite pour faire de grandes choses, et ma folie est d'espérer que ton amour m'accepte. ”
Assurément, le bagage intellectuel de Thérèse est limité. Elle a, certes, lu et médité les maîtres spirituels du Carmel, sainte Thérèse d'Avila (que l'on appellera après sa propre canonisation “ la grande sainte Thérèse ” pour la distinguer d'elle) et saint Jean de la Croix. Mais elle a abandonné ces lectures au bout de quelque temps, et elle ne semble pas avoir éprouvé le besoin de connaître d'autres œuvres fondamentales de la tradition chrétienne. Mais l'Écriture n'est‑elle pas plus enrichissante pour le croyant que les recherches des plus grands docteurs ? Dans les traditions sacrées non chrétiennes, aussi bien que dans le christianisme, une certaine forme d'“ ignorance ” est considérée comme l'une des voies possibles d'accès à la connaissance : pour ceux qui choisissent cette voie, la vérité procède essentiellement de l'expérience intérieure, et non de l'étude et de la spéculation.
Il faut y insister : ce que l'on appelle en l'occurrence “ l'esprit d'enfance ” n'a rien à voir avec le sentimentalisme facile et quelque peu niais d'une famille s'attendrissant devant les ébats d'un bambin. L'esprit d'enfance au sens religieux et métaphysique de cette expression, c'est cette simplicité qu'obtient l'être humain par le renoncement à lui‑même et le détachement de toutes choses. Cet esprit d'enfance est considéré par l'hindouisme comme une condition préalable à l'acquisition de la connaissance. De même, l'un des maîtres du taffisme chinois, Lie‑Tseu, écrit que “ seul l'esprit rétabli dans l'état de simplicité parfaite ” peut atteindre “ le point central ”, c'est‑à‑dire le centre suprême où se concilient et se résolvent toutes les oppositions. La même vérité est évoquée en plusieurs occasions par le Christ dans l'Évangile : “ Quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un enfant, n'y entrera point. ” (Luc, XVIII, 7.) “ Tandis que vous avez caché ces choses aux savants et aux prudents, vous les avez révélées aux simples et aux petits. ” (Matthieu, XI, 25.)
C'est dans cette perspective métaphysique qu'il faut apprécier l'attachement de Thérèse de Lisieux à l'expression de “ petite voie ” comme sa référence à l'“ Enfant Jésus ”. Peu importe alors la faible valeur des poèmes qu'elle écrivait et de toute une littérature à elle consacrée l'essentiel qu'il faut considérer.
C'est l'essentiel ‑ et donc l'accord entre ses principes et la conduite de sa vie. Thérèse s'est notamment efforcée de pratiquer une patience et une gentillesse illimitées envers celles de ses compagnes qui se montraient désagréables envers elle, Cette attitude de compréhension effective, déjà difficile à observer dans la vie “ mondaine ”, l'est davantage encore dans une vie communautaire et cloîtrée, où il est impossible de ne pas côtoyer constamment ceux qui se montrent agressifs ou hostiles à votre égard. Il ne s'agit donc pas d'une aménité plus ou moins superficielle, mais d'une véritable force d'âme.
Après avoir accepté ‑ et même souhaité ‑ toutes les variétés d'épreuves et de mortifications pendant cinq ans, en les offrant à Dieu pour le salut des âmes, Thérèse allait connaître une expérience mystique aussi décisive pour elle que sa “ nuit de feu ” avait pu l'être pour Pascal. Le 9 juin 1895, en la fête de la Sainte‑Trinité, elle comprit qu'elle devait se donner entièrement à l'“ Amour Miséricordieux ” ‑ au Dieu qui ne désire pas châtier ses créatures, mais les embraser d'amour afin qu'elles puissent s'unir à Lui. Dès lors, ce n'était plus la notion de pénitence et d'expiation qui dominait sa vie intérieure, mais une effusion qui lui permit d'écrire : “ Ma vocation, je l'ai enfin trouvée, ma vocation, c'est l'amour ! ”
C'est cependant en cette même année 1895 que sa santé, déjà éprouvée depuis des années par les rigueurs de la vie communautaire aussi bien que par celles qu'elle s'infligeait intentionnellement, donna de graves signes d'affaiblissement. Elle ne voulut rien laisser paraître de son état, et continua à supporter stoïquement le régime habituel du Carmel. L'hiver vint, et lui fut plus pénible encore qu'à l'accoutumée. Puis le temps du Carême, qu'elle observa, lui aussi, sans rien sacrifier des règles prescrites. Mais il lui fut à la longue impossible de laisser ignorer sa maladie, qu'une toux de plus en plus accentuée trahissait.
Le traitement banal ordonné par le médecin pouvait‑il la sauver ? Ses sœurs en eurent l'impression. Thérèse parut se remettre. Il fallut attendre l'hiver suivant pour que l'on prenne conscience de la gravité de son état. Dès lors, on lui interdit l'assistance aux offices et, au début de l'été, on l'obligea à quitter sa cellule pour l'infirmerie. Elle allait y connaître toutes les souffrances qui accompagnaient, à l'époque, les dernières étapes de la tuberculose.
A ses épreuves physiques, des épreuves psychiques peut‑être plus douloureuses encore se mêlèrent. L'amour lui semblait déserter son âme au profit du désespoir. La mort ne lui apparaissait plus que comme l'ultime porte à franchir avant l'anéantissement. Ce fut au point qu'elle connut, un instant, la tentation du suicide.
Elle parvint toutefois à surmonter cette épreuve ‑ encore plus pénible que toutes celles qu'elle avait subies depuis son entrée au Carmel. Elle retrouva ainsi un état de paix intérieure, qui lui permit d'écrire :
“ C'est la paix qui devint mon partage, la paix calme et sereine du navigateur apercevant le phare qui lui indique le port. ”
Quelques semaines plus tard, c'était la fin ‑ une fin bouleversante pour toutes ses sœurs rassemblées à son chevet.
Une explication matérialiste :
Si elle a soulevé chez les croyants du monde entier une exceptionnelle ferveur, Thérèse, nous l'avons dit, a profondément déconcerté les agnostiques et les athées. Parmi ces derniers, le surréaliste Pierre Mabille a tenté d'expliquer le cas de Thérèse, en se référant à des critères peu familiers au monde catholique.
Thérèse, dit Pierre Mabille, est devenue un mythe pour un grand nombre de ses contemporains : mais “ un être ne devient un mythe que dans la mesure où il incarne des désirs collectifs et de puissances sociales ”. Selon lui, Thérèse est en fait le symbole d'un christianisme vieilli et pourrissant supporté par une classe bourgeoise “ qui, elle aussi, atteint au terme de son pouvoir, et qui en a la perception inconsciente la plus nette ”.
Thérèse est venue au monde dans une famille bourgeoise paisible et à l'abri du besoin, mais victime d'une mauvaise santé : sur les neuf enfants du ménage Martin, quatre meurent en bas âge, leur mère disparaîtra jeune, et le père sera frappé de paralysie générale quelques années avant sa mort. Pour Pierre Mabille, ce mauvais état de santé n'est pas sans relation avec le moralisme chrétien, qui n'accorde que peu d'importance à l'épanouissement du corps. L'hérédité familiale paraît contenir un courant destructeur, qui provoque à la fois la mort en bas âge de certains enfants et l'entrée au couvent de certains autres : l'évolution d'une famille prolifique se termine ainsi par une défaite de la vie. Et Thérèse elle‑même semble avoir su que sa vie serait brève, et avoir souhaité en finir le plus tôt possible.
Dès sa petite enfance, en tout cas, Thérèse est élevée dans l'idée que la vie est mauvaise (“ remplie de misère ”, dit Mme Martin), et que les joies de la terre sont des pièges sataniques. Et c'est seulement en évitant ces pièges que l'être humain pourra connaître le bonheur posthume.
A l'époque où Thérèse est venue au monde, le temps de la chrétienté triomphante est depuis longtemps terminé : certes, l'“ Ordre moral ” domine la République bourgeoise, mais c'est en vertu de la souveraineté nationale (et non plus au nom du Christ) que s'exerce le pouvoir civil. Ainsi dépossédée de ses anciennes prérogatives, l'Église a tendance à dévaloriser davantage encore la vit terrestre et à valoriser d'autant plus celle de l'au‑delà. Et toute l'exaltation de la foi et de l'amour qu'on trouve dans les écrits de Thérèse procède de cet état d'esprit.
A cela s'ajoute le fait que Thérèse vit dans une famille bourgeoise où les obligations matérielles communes à la majorité des hommes étaient inconnues. Pour vivre, les Martin n'avaient pas besoin de travailler, et Thérèse vivait sans aucune contrainte matérielle : elle a précisé que “ c'était pour le Bon Dieu seul ” qu'il lui arrivait de faire son lit ou de rentrer les pots de fleurs de sa sœur.
Ignorant le travail, Thérèse n'est pas attirée par le jeu seule la solitude semble lui convenir. Hormis les personnes de sa famille, elle ne rencontre guère les autres qu'à l'église. Découvrant la vie scolaire assez tard ‑ et dans une école religieuse ‑, elle trouvera l'étude décevante, et soupirera après “ le repos du Ciel ”. Si bien qu'elle ne changera guère de milieu social lorsqu'elle passera de sa famille au cloître.
Dans sa vie familiale, Thérèse a connu, il est vrai, quelques épreuves affectives. Elle a éprouvé un véritable désespoir quand sa sœur Pauline est entrée avant elle au Carmel. Elle a eu aussi des relations très affectueuses avec une autre sœur,
Cécile, qu'elle a réussi à faire entrer au Carmel après elle. Mais c'est davantage encore à son père que Thérèse a donné le meilleur de son affection. Elle l'appelle son “ roi bien‑aimé ”, expression dont elle se servira ultérieurement pour l'appliquer à Jésus. “ Son attraction pour son père, écrit Mabille, l'amène à rêver d'un amour idéal qui ne peut être rencontré dans la société si réduite qui l'entoure. Elle est conduite à se le représenter sous les traits du Christ. ” De son côté, M. Martin, adulé par Thérèse et par ses sœurs, verra d'un bon œil leur entrée dans les ordres “ Il sent trop bien qu'en se vouant au Christ, elles ne se détourneront pas de lui, premier objectif amoureux, et qu'en, es lui garderont leur cœur. ” En ce qui concerne Thérèse, elle écrira un jour ces mots que Mabille trouve révélateurs : “ Je crois jouir enfin, pour toujours, de la vraie, de l'éternelle vie de famille. ”
L'écrivain surréaliste voit là l'explication du succès de Thérèse au sein des familles chrétiennes :
“ Généralement, les saints et les saintes marquent une individualité très prononcée. Ils témoignent d'une grande indépendance et, pour se joindre à Dieu, abandonnent les leurs avec plus ou moins de fracas. Ici rien de tel. La démarche de notre jeune carmélite se fait en accord avec ses sœurs, et avec ses parents eux‑mêmes. Il n'y a donc pas épopée individuelle, mais familiale. ”
Cette particularité est de grande importance, en un temps où l'Église défend avec acharnement sa conception de la famille, menacée par les idéaux modernes, et notamment par les investigations de la psychanalyse.
Cependant l'amour de Thérèse pour Jésus, son époux mystique, lui donne l'occasion d'ex‑primer son masochisme. Elle affirme qu'elle voudrait, comme Jésus, connaître le martyre : ‑ elle lui demande de la considérer comme “ son petit jouet ”, non pas un jouet de prix, mais “ comme une petite balle de nulle valeur, qu'il pourrait jeter à terre, pousser du pied, percer, laisser dans un coin, ou bien presser sur son cœur si cela lui faisait plaisir... ”.
Souvent, l'amour du fidèle pour le Christ s'établit par la médiation du prêtre, et c'est sur lui que les femmes pourront être amenées à transférer leur amour. Mais Thérèse a dû vaincre les résistances ecclésiastiques pour entrer au Carmel : ses sentiments envers les prêtres ne se situent pas au‑delà du respect que tout fidèle leur doit. C'est directement, par le sacrement de l'Eucharistie, que s'établit le lien entre Thérèse et l'objet de son amour. Au point qu'elle se réjouira lorsqu'une épidémie d'influenza, qui multiplie les dangers de mort, incitera l'autorité religieuses à autoriser la communion quotidienne.
Cette analyse conduit Pierre Mabille à voir en Thérèse de Lisieux un exemple remarquable de schizophrénie, c'est‑à‑dire de contacts extrêmement réduits avec la réalité extérieure. La vie de Thérèse se résume pour lui à l'évolution d'un complexe affectif, qui permet à Thérèse d'ignorer l'univers, un univers dont la réalité n'est pas évidente pour elle. Elle vit en son rêve et pour son rêve. Son milieu social ne pouvait aucunement entraver son désir de fuite, et le Carmel n'a pu que le renforcer. “ Je reconnus par expérience, a‑t‑elle écrit, que le seul bonheur de la terre consiste à se cacher, à rester dans la totale ignorance des choses créées. ”
Dès sa petite enfance Thérèse ne veut plus “ rien voir de cette vilaine terre ”, c'est de plus en plus son dialogue avec Jésus qui va constituer l'essentiel de sa vie. Selon Mabille, ce dédain du monde, cette schizophrénie dont Thérèse offre un exemple particulièrement impressionnant est une caractéristique de la société bourgeoise qui fait vivre les parasites en marge de l'effort collectif, et aboutit ainsi à “ renforcer les résultats du christianisme ”. L'écrivain voit là un processus de destruction, et il s'indigne que l'on puisse présenter l'évolution de Thérèse comme avantageuse ou glorieuse pour l'humanité. Cette évolution n'est en effet pour lui qu'une marche vers la mort : cette mort, qui est pour le chrétien “ la seule affaire importante ”, est aussi pour Thérèse sa récompense : l'amour dont elle est possédée ne peut recevoir aucune satisfaction sur la terre, elle ne rejoindra son amant mystique que dans l'au‑delà. D'où la joie qui envahit Thérèse, dès que certains signes annoncent sa mort prochaine.
Ainsi, le procès de Thérèse de Lisieux par Mabille se confond-il avec un procès général du christianisme, accusé d'opérer une véritable destruction de l'amour au profit d'une relation illusoire avec un amant invisible. Dans la société bourgeoise, cet idéalisme hallucinatoire coïncide avec un matérialisme vulgaire, un appétit immodéré de l'argent : ainsi l'amour est exclu de toutes façons, le mariage par intérêt ou la prostitution n'étant pas, pour la femme, une condition moins triste que le cloître. Mais les femmes vouées à une condition “ laïque ” et “ mondaine ” décevante seront naturellement portées à chercher le réconfort dont elles ont besoin dans l'amour idéaliste et désincarné dont Thérèse de Lisieux est devenue l'image.
Rayonnement persistent de la “ Petite Sœur ” :
Cette brève mais dense analyse du cas de Thérèse de Lisieux mérite réflexion. Dans son étude sur l'enfance de Thérèse, le psychanalyste catholique Jean‑François Six constate lui aussi que l'atmosphère de la famille Martin était “ un univers de mort ”, et que Mme Martin élevait ses enfants dans des sentiments d'hostilité envers le monde qui ne pouvaient que compromettre leur bonheur.
Cependant, contrairement à Pierre Mabille pour lequel ce fut précisément cet attrait de la mort qui prédomina chez Thérèse, au point de décider de son destin, Jean‑François Six considère au contraire que Thérèse opposa à l'ambiance familiale “ une réaction de vie ”. Les épreuves de santé dont elle souffre depuis sa naissance ne l'empêchent pas, en effet, de manifester fortement sa personnalité au sein de sa famille. Elle fait preuve, en même temps, d'une remarquable lucidité sur son état. A l'âge de onze ans, où elle émerge d'une cruelle maladie, elle se demandera si elle n'est pas responsable de ce qui lui est arrivé : autrement dit, elle pressent que son état peut être de nature psychosomatique, ce qui était une donnée à peu près inconnue à l'époque, et qui est encore refusée par la majorité des individus, toujours portés à accuser le seul destin de ce qui leur arrive de contrariant. De même, on aurait tort de croire que Thérèse n'a pas fait la distinction entre le sentiment de culpabilité et les excès qui peuvent en découler ‑ elle a écrit elle-même qu'elle avait été “ assaillie par la terrible maladie des scrupules ”.
Il faut aussi considérer avec attention ce que Thérèse a pu dire au sujet de sa “ nuit de lumière ” de Noël 1886 : en cette nuit, dit‑elle, Dieu l'a fait “ sortir de l'enfance ”, qu'il s'agisse des défauts de l'enfance ou de ses joies. Nouvelle preuve que l'“ esprit d'enfance ” de son message se distingue de l'état d'enfance proprement dit. Elle évoquera plus tard l'événement de 1883 sans faire preuve d'aucun masochisme : “ Depuis cette nuit bénie, je ne fus vaincue en aucun combat, mais au contraire je marchai de victoire en victoire. ” Elle dira aussi que cette “ conversion ” de Noël 1886 l'a “ armée pour la guerre ”. Mais pour une guerre qui n'est plus celle que son enfance pouvait rêver :
“ En lisant les récits des actions patriotiques des héroïnes françaises, en particulier celles de la vénérable Jeanne d'Arc, j'avais un grand désir de les imiter, il me semblait sentir en moi la même ardeur dont elles étaient animées, la même inspiration céleste. Alors je reçus une grâce que j'ai toujours regardée comme une des plus grandes de ma vie, car à cet âge je ne recevais pas de lumières comme maintenant où j'en suis inondée. Je pensais que j'étais née pour la gloire : et cherchant les moyens d'y parvenir, le Bon Dieu m'inspira les sentiments que je viens d'écrire. Il me fit comprendre aussi que ma gloire à moi ne paraîtrait pas aux yeux des mortels, qu'elle consisterait à devenir une grande sainte... ”
On peut, là encore, noter une certaine puérilité dans la façon dont s'exprime Thérèse, mais on n'y trouve pas ce consentement à la mort évoqué par Mabille ‑ c'est au contraire à un épanouissement total de sa personnalité qu'en l'occurrence Thérèse aspire.
Certes, depuis la mort de Thérèse, le déclin de la société catholique, manifesté aussi bien par la diminution du nombre des fidèles que par la crise des vocations religieuses, n'a cessé de se confirmer. Il n'en est pas moins vrai que au sein de cette société en crise, le rayonnement de Thérèse, phénomène foudroyant au lendemain de sa mort, n'a pas diminué. Avec Lisieux, comme avec le Mont‑Saint‑Michel, la Normandie possède ainsi deux des plus importants centres de pèlerinage français et internationaux.
Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, ce n'est pas l'Église qui a imposé aux fidèles le culte de Thérèse : ce sont les fidèles qui ont amené l’Église à la porter sur les autels. “ Il y aura encore des saints canonisés à Rome, avait écrit Ernest Renan à la fin du XIXe siècle, il n'y en aura plus de canonisés par le peuple. ” Or, comme l'a remarqué Daniel‑Rops, la popularité de Thérèse de Lisieux a apporté à cette prédiction le plus éclatant démenti. Constatant l'extraordinaire propagation de la dévotion à Thérèse, non seulement en Normandie et en France, mais à travers la catholicité, le cardinal Vico, chargé d'instruire les procès en canonisation, déclara : “ Il faut nous hâter de glorifier la petite sainte, si nous ne voulons pas que la voix du peuple nous devance. ”
Et de fait, on se hâta. Contrairement à Jeanne d'Arc, qui dut attendre cinq siècles avant d'être proposée à la ferveur des fidèles, la procédure de béatification de Thérèse fut introduite en 1909, c'est‑à‑dire douze ans après la mort de la petite carmélite, dont les sœurs : Marie, Pauline et Céline se trouvaient encore au Carmel de Lisieux. En 1918, Benoît XV décidait que le délai de cinquante ans, normalement imposé par le droit canon entre la mort des saints et la discussion de leur procès en béatification, ne s'appliquerait pas dans le cas de Thérèse. Puis, le 23 avril 1923, Pie XI déclarait Thérèse bienheureuse et, le 27 mai 1925, célébrait la canonisation de la petite carmélite de Lisieux, en présence d'une foule exceptionnelle par son ampleur comme par sa ferveur.
Deux ans plus tard, Pie XI proclame sainte Thérèse de Lisieux “ patronne des missions ”, à l'égal de saint François Xavier. Cette décision surprend : si saint François Xavier a parcouru le monde et fait connaître le christianisme aux peuples de l'Inde, de la Chine et du Japon, Thérèse, après son pèlerinage à Rome, n'a connu du monde que son Carmel. Mais la décision du pape a peut‑être une signification d'ordre symbolique. Le temps de la découverte des terres non chrétiennes par les missionnaires de l'Occident est accompli. Et si les peuples non chrétiens ont connu le christianisme, les chrétiens ont, inversement, découvert les traditions sacrées non chrétiennes. Le temps n'est plus où la propagande cléricale distinguait sommairement, dans le monde, d'un côté les chrétiens, détenteurs de la Vérité, de l'autre les païens, plongés dans les ténèbres. L'effort des missionnaires chrétiens doit aujourd'hui consister à mieux comprendre les valeurs que les religions non chrétiennes peuvent avoir en commun avec le christianisme. C'est donc “ au sommet ” que les religions et les traditions sacrées se rejoignent : il est logique, dans cette perspective, que la patronne des Missions soit une sainte contemplative.
Thérèse annonçait qu'après sa mort elle ferait tomber une “ pluie de roses ” sur la terre. Si l'on considère les événements du XXe siècle, on est tenté de penser qu'elle n'a pas tenu sa promesse : le monde a connu l'épreuve de tragédies d'une ampleur sans précédent, et pendant la Seconde Guerre mondiale, le pays même de Thérèse, la Normandie, a subi les plus cruelles destructions de toute son histoire. Mais c'était aux destins individuels que songeait Thérèse. Les innombrables ex‑votos que 1'on peut voir à Lisieux et dans toutes les églises où une chapelle est consacrée à Thérèse attestent que sa médiation a été ressentie et appréciée avec reconnaissance par une foule de croyants.
Le culte de Thérèse existe dans tous les milieux sociaux. Les catholiques d'Action française attribueront à l'influence de la sainte de Lisieux la levée par Pie XII de la mise à l'index qui avait frappé leur mouvement pendant treize ans. Mais c'est principalement dans les milieux populaires que Thérèse est aimée et vénérée. Edith Piaf ne cessa jamais de l'invoquer ‑ y compris lorsqu'elle habitait avec une amie dans une maison close. A l'exemple de la grande chanteuse de music‑hall, beaucoup de non‑pratiquants ont un culte pour Thérèse. Les doctrinaires diront qu'il ne s'agit plus alors de religion au sens propre du terme, mais de pure et simple superstition. Et sans doute ont‑ils raison. Mais ce qu'on appelle superstition ne sauve-t‑il pas, en certains cas, un être humain du désespoir ?
Il n'en est pas moins certain que la personnalité de Thérèse de Lisieux doit être arrachée à l'exploitation commerciale éhontée dont elle a été victime, autant et plus que d'autres saints. Certains théologiens se sont employés à cette œuvre de vérité. Après avoir été trop souvent diffusés par fragments, et même simplifiés à l'excès ou déformés, les écrits spirituels de sainte Thérèse ont fait l'objet d'une édition intégrale due à un théologien du Carmel, le père François de Sainte Marie. Ceux qui veulent découvrir le vrai visage de Thérèse devront désormais s'y référer.
Peut‑on mettre Thérèse au nombre des grands mystiques ? Dans son Histoire de la mystique, la théologienne contemporaine Hilda Graef incline vers une opinion négative ‑ à ce sujet :
“ Son autobiographie abonde en "je pensais", "je sentais", "j'espère", "je comprends", qui ne sont pas langage de mystique, lesquels se sentent passifs sous l'inspiration divine et avouent être incapables d'exprimer en mots humains les mystères que Dieu leur a révélés. C'est plutôt le langage d'une chrétienne qui doit dégager pour son compte les implications de sa foi, mais qui le fait en parfaite soumission à la volonté divine. ”
La vocation de la jeune sainte normande ne lui apparaît toutefois que plus exceptionnelle :
“ Il me semble justement que sa vocation était de vivre et de montrer la voie de la perfection sous une forme accessible à tous les très hautes grâces de l'union mystique lui furent refusées en cela réside précisément la grâce spéciale qui fit d'elle la sainte la plus populaire de notre époque. ”
Jean‑Paul II ne l'a pas oublié. Comme il lui restait quelques heures à passer sur le sol de France, après son séjour à Paris, au printemps 1980, c'est à Lisieux qu'il choisit de se rendre. ”
In L’Aventure spirituelle des Normands par Paul Sérant ; Édition Robert Laffont Paris 1981.
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