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SEVER
SEVER ou SEVERE
Mort vers 690 ; natif du Cotentin, de parents pauvres, il devient prêtre, puis abbé, puis évêque d'Avranches. Peu avant sa mort, il revient à la vie monastique. Fête : 1er février. Une commune du Calvados porte ce nom : Saint-Sever-Calvados.
SAINT-SEVER/EVRECY/PREAUX-BOCAGE :
"La forêt doit son nom à Sever, esclave, au Vème siècle chez un leude païen nommé Corbécénus, roi du Bessin et propriétaire de la forêt. Dans son histoire ecclésiastique de Normandie, Trigan écrit : "Quand Sever fut en âge de gagner son pain, ses parents le mirent au service du grand seigneur qui parait avoir eu le gouvernement de cette basse province sous nos premiers rois. Ce Seigneur, appelé Corbec, avait un château placé sur la pente d'une montagne, près de la Brévogne, petite rivière qui prend sa source dans la forêt de Saint-Sever (...). Il aimait fort cet endroit, à cause de la commodité des forêts et des pâturages, et y venait tous les ans passer un temps considérable. Il y faisait nourrir une grande quantité de cavales et de poulains, et la garde de ces cavales fut l'emploi qu'il donna au jeune Sever. Le pâtre s'attaqua aux pratiques antireligieuses de son maître qui venait chaque année passer la saison hivernale dans son château situé au nord-est de la forêt et dont il reste quelques vestiges sous forme de levées de terre concentriques autour d'une motte centrale. Le culte de Corbécénus consistait à adorer les forces de la nature apaisées grâce au sacrifice de certains animaux (animaux domestiques essentiellement et chèvres en particulier) immolés selon un rite particulier, sous un grand chêne ombreux et bienveillant, près des écuries que gardait Sever, sises au lieu-dit "le clos Saint Sever", sur le flanc du coteau dit "le Mont-Manson". Ces pratiques ne pouvaient plaire au catholique dévot qui voulut convertir le roi. Un jour, Sever, fatigué par son labeur quotidien, s'allongea sur l'herbe, à l'abri des frondaisons. Le souci des bêtes dont il assumait le gardiennage le réveilla en sursaut et en se levant il voulut arracher la branche de chêne qui lui servait d'aiguillon. Celle-ci avait pris racine. L'arbre grandit et devint une belle et puissante masse végétale, admirée de tous les habitants de la contrée et personne ne voulut s'y attaquer. La Croix Mérienne commémore cet événement. Ce fut une addition de miracles de ce tonneau qui poussa Corbécénus, ébahi par tant de prodiges, à se convertir. Pour récompenser son esclave, le roi accorda à Sever un terrain où, en 558, il se retira pour fonder un monastère. Puis, en 565, il devint évêque d'Avranches et revint mourir, cinq ans plus tard, au pays de son enfance."
in Bois et Forêts de Normandie par J.M. Foubert, Corlet (1985).
"Les légendes, a dit un maître, sont la moitié de l'histoire. La meilleure moitié, ajouterons-nous, car elles peignent son côté intime, et sont l'histoire du coeur. Elles ont un autre avantage de surcroît, celui de conserver le souvenir de faits réels que l'histoire écrite n'a pas enregistrés, et que l'imagination populaire a poétiquement ornés de circonstances merveilleuses. Il en est ainsi de la vie de saint Sever. Sa mémoire n'a pas cessé d'être vénérée dans le Val-de-Vire, son culte d'y être fervent. C'est que saint Sever personnifie en lui la première vertu du chrétien : la charité, dont, jusqu'à son dernier souffle, il fut le véritable apôtre. Saint Sever naquit au Vème siècle, dans le Val-de-Vire à la lisière d'une vieille forêt, où les Gaulois, nos pères, avaient célébré les mystères de leur religion, ainsi que le témoigne un antique monument entouré de traditions, la Pierre Couplée qu'on y remarque encore. Déjà le Christianisme avait pénétré dans cette partie des Gaules, et les parents de Sever l'élevèrent dans la foi du Christ, qu'ils professaient. Ils étaient serfs de Corbécénus, seigneur ou gouverneur de la contrée, dont le château s'élevait à une demi-lieue d'une bourgade qui a reçu depuis le nom de saint Sever. Ainsi que la plupart des demeures des hommes puissants à cette époque, l'habitation de Corbécénus était vaste et fortifiée, toute peuplée de gens de guerre, et de nombreux serviteurs occupés à la culture du domaine, car elle était à la fois un château et une exploitation agricole. Passionné pour la chasse, Corbécénus s'adonnait sans cesse à ce turbulent plaisir, et poursuivait les fauves de la forêt jusqu'au plus profond de leurs repaires. Loups, sangliers, cerfs, biches et renards tombaient chaque jour à foison sous les flèches, les dards, les épieux du rude chasseur et de ses compagnons. Et du matin au soir le galop des chevaux, les fanfares des trompes, les cris des chasseurs, les gémissements des fauves et les aboiements des meutes furieuses, faisaient retentir les échos de l'antique forêt. Adonné au paganisme, Corbécénus rendait un culte idolâtre à un arbre tombant de vétusté, un chêne sacré, qu'entouraient aussi d'une vénération superstitieuse les habitants d'alentour. Cependant, deux petits temples chrétiens s'élevaient à peu de distance de là. L'un dédié à saint Martin, l'apôtre des Gaules, est devenu l'église de Sept-Frères ; l'autre était la chapelle de Saint-Quentin. Les chrétiens les fréquentaient pour y prier en commun aux jours des dimanches et des fêtes ; mais, comme ils étaient moins nombreux que les païens, c'était à la dérobée qu'ils s'y réunissaient. Sever qui était doué d'une vive piété ne manquait jamais de se joindre à eux. Parfois aussi il y venait seul, et pendant que ses cavales paissaient aux environs, il adressait ses effusions à Dieu dans l'un ou l'autre temple. L'herbe était meilleure par là, disait-il à ceux que surprenaient ces fréquents déplacements. "Il y aura toujours des pauvres parmi nous", a dit Jésus ; la misère était grande alors dans le pays, et Sever partageait avec ceux qui avaient faim sa nourriture de la journée. Il éprouvait une profonde et tendre pitié pour les misères qui affligeaient ses regards, et il eût voulu les soulager toutes. A l'exemple du bon Saint Martin, qu'il allait si souvent prier, il partageait parfois ses vêtements avec ceux qui étaient nus, qui avaient froid ; il se dépouillait pour les couvrir. Son maître le vêtissait en même temps qu'il le nourrissait ; il apprit bientôt l'usage qu'il faisait de ses vêtements, si souvent renouvelés, et lui adressa de vifs reproches. Sever les écoutait avec humilité, mais néanmoins continuait à faire le bien ; et Dieu qui aimait son jeune serviteur, approuvait sa conduite, et ne tarda guère à le lui témoigner par des prodiges. Un jour, qu'il regardait ses cavales bondir joyeusement et folâtrer avec leurs poulains, une pauvre veuve, réduite au dernier dénuement, se présenta devant lui et fit appel à sa charité. Sever avait déjà distribué tout ce qu'il avait, il ne lui restait rien à donner. Mais son coeur, ému de la plus tendre pitié, ne put résister aux prières de la pauvre mère ; il lui dit d'emmener la meilleure de ses cavales avec son poulain. Corbécénus en fut bientôt instruit ; sa colère s'alluma soudain, et la femme dut lui ramener la jument et le poulain qu'il fit enfermer en lieu sûr. Puis pour surprendre Sever en faute et le confondre, il l'envoya quérir, et le fit comparaître devant lui avec son troupeau qui fut compté avec soin, mais trouvé complet. Corbécénus fit recommencer l'épreuve et voulut compter lui-même ; à sa grande stupéfaction, il trouva encore exactement le nombre des animaux confiés à la garde de son serviteur, qu'il dut renvoyer absous. Le jeune pâtre, voyant par ce miracle que Dieu marquait sa prédilection pour ses oeuvres de charité, s'affermit dans sa résolution de les continuer. Mais cette épreuve, au lieu de désarmer la colère de Corbécénus, ne fit que l'accroître. A l'instigation de son intendant qui était un zélé païen, et comme tel haïssait les chrétiens, il ordonna de fermer les portes de sa demeure à Sever lorsque, le soir, il reviendrait dépouillé de ses vêtements. On était alors au milieu d'un rigoureux hiver, et un jour que le pâtre était entouré de misérables criant le froid et la faim, la compassion qu'il éprouva pour leurs souffrances fut si vive qu'il oublia la défense de son maître : après avoir distribué sa nourriture, il se dépouilla de ses vêtements pour couvrir les plus nus. Le soir, à demi vêtu et grelottant de froid, il regagna le château, laissant au pâtis son troupeau. Il trouva la porte verrouillée et malgré ses appels elle demeura fermée. Repoussé par les hommes, Sever s'adressa à celui qui est le refuge des malheureux, et sa prière fut entendue. Il retourna vers ses cavales, qui accoururent en hennissant de plaisir de le revoir. Elles l'entourèrent aussitôt d'un cercle pressé, et se tinrent la tête basse, concentrées les unes contre les autres, comme les rayons de la roue vers le moyeu, pour se donner réciproquement la chaleur de leur corps. De leur tiède haleine elle réchauffèrent celui qui, de ses vêtements, avait réchauffé les membres glacés des malheureux ; et il en fut ainsi toute la nuit. Mais chose plus merveilleuse encore ; quoique la neige tombât abondamment, chassée en épais tourbillons par les rafales, et que partout elle couvrit la terre d'un épais linceul, elle respecta le cercle qu'avaient formé les cavales autour de leur gardien : pas un brin ne tomba sur lui ni sur son troupeau. Elle ne tarda guère à former comme un rempart qui les mit à l'abri de l'âpreté de la bise ; de sorte qu'ils ne sentirent rien de la rigueur de cette nuit glaciale. Le souvenir de ce miracle est toujours vivant dans la mémoire fidèle des populations de la contrée, et le lieu où il s'accomplit est connu sous le nom de : pré du miracle. A quelque pas se trouve la fontaine de Saint Sever. Des gens que Corbécénus envoya le matin pour savoir ce que le pâtre était devenu, le trouvèrent à genoux au milieu de ses cavales, priant avec ferveur, et remerciant Dieu de la grâce qu'il lui avait accordée. Corbécénus voulut s'assurer par ses yeux du prodige, et il y reconnut une preuve éclatante de la vertu de son serviteur. Sa colère évanouie, il se prit d'une vive amitié pour celui que naguère il haïssait et méprisait. Il résolut de se l'attacher, et comme témoignage d'estime, voulut lui donner l'intendance de sa maison. Sever dont les vues étaient différentes, répondit qu'il ne se sentait pas capable de remplir cet emploi ; pour seule grâce il demanda qu'il lui fût permis de se retirer dans une solitude, afin de pouvoir se consacrer tout entier à Dieu. Touché d'un si grand désintéressement, Corbécénus lui accorda cette permission, mais témoigna le désir de connaître ce Dieu, pour lequel Sever renonçait aux biens et aux honneurs de ce monde. Sever qui, malgré la dureté que lui avait témoigné son maître, l'aimait, et ne cessait de prier pour sa conversion, fut comblé de joie de le voir dans ces heureuses dispositions. Il se mit aussitôt à l'instruire dans la foi chrétienne ; lui en fit connaître la douceur et la pureté, et Dieu donna une force si persuasive à sa parole, que Corbécénus, sa famille et toute sa maison confessèrent le nom de Jésus. Les eaux du baptême les purifièrent de leurs idolâtries. Sa mission accomplie, Sever reçut la permission de partir. Il choisit, à la prière de Corbécénus, une retraite peu éloignée afin que celui-ci pût avoir recours à ses conseils dans ses besoins spirituels. A une demi-lieue du château se trouvait un lieu désert et sauvage, perdu au milieu de la forêt. Sever le choisit pour sa retraite. Il y éleva une humble chapelle à la Sainte-Vierge, et se construisit auprès une cabane de branchages, couverte de genêts et de mottes de gazon. Alors se trouva réalisé le désir qu'il avait depuis si longtemps de mener une vie plus parfaite, en se consacrant sans relâche à la prière, au jeûne et aux plus rudes macérations. Bientôt Dieu lui accorda une autre consolation. L'exemple de Corbécénus avait fructifié, et grâce aux travaux apostoliques du saint, toute la contrée fut évangélisée et renonça à ses idolâtries pour embrasser la vraie foi. Sever n'eût pu, malgré son zèle, suffire seul à la tâche. De nombreux disciples vinrent l'aider dans son apostolat, groupèrent leurs cabanes autour de la sienne, et ils s'appliquèrent à les former à la vertu de ses exemples. Parmi ses coopérateurs, il faut citer entr'autres le bienheureux Gilles, dont le nom a mérité d'être associé au sien dans la mémoire reconnaissante des habitants du pays. Plus tard, Sever fut ordonné prêtre par le saint évêque Laud, qui voulut le récompenser de ses vertus en l'élevant au sacerdoce. Il était réservé encore à une dignité plus élevée. Le siège d'Avranches étant devenu vacant par la mort de saint Senier, sa réputation de sainteté y fit appeler saint Sever. Le clergé et le peuple vinrent le trouver dans sa cellule, et par leurs instances le contraignirent de prendre le gouvernement de leur église. Mais dans son humilité, il voulait fuir tout ce qui ressemblait aux honneurs, et sans cesse il soupirait au souvenir de sa chère solitude de la forêt. Il résolut d'y retourner et demanda un successeur avec une si touchante sollicitude qu'il fallut céder à ses larmes. Revenu dans sa cabane rustique, il reprit avec bonheur le bourdon des ermites, la direction de son troupeau de pieux disciples, et le cours de ses bonnes oeuvres. Ce fut ainsi, en remplaçant les joies du corps par les macérations, les préoccupations de la terre par l'amour du ciel, et en combattant les restes de l'idolâtrie, que Sever acheva son existence, arrivée à une extrême vieillesse. Plus il approchait de sa fin, plus il sentait s'affermir la ferveur de ses sentiments de piété. Quand il comprit que la mort était proche, il rassembla autour de lui ses compagnons de solitude pour leur annoncer qu'il était sur le point de les quitter. Après leur avoir donné le baiser de paix, et s'être recommandé à leurs prières, il les congédia, tous en larmes, pleins de tristesse, et se renferma en lui-même pour se préparer à la mort. Une légère fièvre vint rompre les derniers liens qui l'attachaient à la terre, et il s'endormit doucement dans la paix du Seigneur, au chant des cantiques, aux murmures des oraisons de ses frères en jésus qui l'entouraient. C'est, dit la légende d'un bréviaire de Rouen, le 6 juillet 509, qu'eut lieu la mort du bienheureux, qui reçut la sépulture dans sa petite chapelle. L'ermitage qu'il avait fondé devint par la suite une abbaye de bénédictins, détruite par les Normands vers la fin du IXe siècle. Sous les ruines de la chapelle, parmi les ronces et les orties, dans la solitude, se cachait la tombe de celui qui fut la providence visible de la contrée et sa lumière. Mais elle n'avait pas été abandonnée, elle n'avait pas cessé d'attirer les fidèles Ils venaient adresser leurs prières à celui qui fut l'ami des pauvres, des faibles, des affligés, dont l'inépuisable charité n'avait cessé qu'avec sa vie, et lui demandaient son intercession toute puissante. Par la suite les ruines furent déblayées, le tombeau mis à découvert, on y éleva une modeste église couverte seulement de branches entrelacées et de paille. Des miracles s'y accomplirent, et deux prêtres attachés à la métropole chrétienne de Rouen, qui revenaient d'un pèlerinage au mont Saint-Michel, attirés par les merveilles qu'on racontait, pensèrent que la première église de la province était seule digne de posséder les reliques d'un si grand saint. Ils tentèrent de s'en emparer, mais leur entreprise ne réussit pas, grâce à la vigilance du prêtre chargé du service de la chapelle. A leur retour à Rouen ils s'empressèrent d'instruire le duc Richard de ce qu'ils avaient vu, et ajoutèrent que le corps d'un saint, célèbre par tant de miracles, ne pouvait rester dans un lieu désert, parmi les ronces et les épines, privé des honneurs qui lui convenaient. Le duc se rendit à leurs raisons, et il ordonna qu'on transportât ces reliques dans l'église métropolitaine de sa capitale. Elles furent alors enlevées, malgré les prières et les larmes de la population du pays, et transportaient à Rouen. La légende ajoute que la première station où s'arrêta le cortège en partant de Saint-Sever fut Evrecy, bourg situé à quelques lieues de Caen. La dernière fut en vue de Rouen, où l'archevêque et son clergé allèrent recevoir les reliques. Mais on ne put les faire entrer dans la ville ; Sever, même après sa mort, avait voulu rester étranger à ces honneurs que de son vivant, il avait fui et méprisés. C'est une humble église de banlieue qui reçut le précieux trésor ; et depuis elle a pris le nom de Saint-Sever, ainsi que le faubourg qui maintenant l'entoure des rangs pressés de ses maisons. Parmi les nombreux miracles qui signalèrent l'existence de l'ami des pauvres, il en est un des plus gracieux que rapporte la légende. Un jour de l'été, qu'il faisait une chaleur extrême, Sever alla faire pâturer ses cavales dans une clairière de la forêt, où depuis s'est élevée la Croix Mérienne (De méridienne : de midi) . Dans ce temps on avait, comme dans le nôtre, l'habitude de faire mérienne (dormir) à midi. Le jeune pâtre planta son bâton en terre, se coucha sur l'herbe, et dormit bientôt d'un profond sommeil. A son réveil il chercha des yeux son bâton, et ne le vit plus : un grand arbre l'avait remplacé. Durant son sommeil, la tige morte avait repris sa vie éteinte, s'était élancée puissamment développée. La sève s'était remis à circuler dans les veines taries, et crevant la légère écorce, avait donné naissance à des bourgeons d'où sortaient des rameaux qui s'étendirent vigoureusement alentour, s'entrelacèrent et se couvrirent d'un vert feuillage. Le bâton était maintenant un chêne gigantesque, roi de la forêt, au tronc superbe velouté de mousses, et dont les cicatrices et les rugosités accusaient une existence de plusieurs siècles. Ses racines plongeaient profondément dans la terre, et son épaisse feuillée avait protégé le repos du pâtre de son ombre et de sa fraîcheur. De là le nom de Mérienne donné à la croix qui fut élevée en ce lieu, comme souvenir de ce miracle. (On retrouve dans plusieurs légendes chrétiennes ce bâton qui reprend vie, notamment dans celle de saint Bon. Il en est question aussi dans un conte populaire de la Valachie.)"
in Esquisses du Bocage Normand de J. Lecoeur (1883).
A Préaux-Bocage, on trouve l'église "sous l'invocation de St. Sever, et l'on rapporte à ce sujet que les reliques de ce saint étant transportées à Rouen s'arrêtèrent à Préaux, et devinrent si lourdes, quand on voulut les enlever, qu'on ne put y parvenir qu'après avoir fait voeu de mettre la paroisse sous son invocation." in Statistique Monumentale du Calvados d'Arcisse de Caumont (1874).
"[Les sources auxquelles ont été puisés les renseignements qui suivent sont : 1) Version Frédéric Flovet : Acta Sanct., Saint Sever, 1er février : 187 ; 2) Pigeon : Vies des Saints du Diocèse de Coutances et d'Avranches : II, 42 (texte latin d'après ms. de Saint Sever, copie collationnée avec variantes des ms. en notes, par Guérin vers 1690 (V. Pigeon : le Diocèse d'Avranches, I, 11) ; 3) Version vers 1696, de Duhamel, moine de N.6D. de Saint-Sever (V. Ann. Ass. Norm., 1922 ; 194) conservée dans le ms. de J.B. Guérin (XIXe s.). Toutes nos références au ms. Guérin concernent ce dernier actuellement entre les mains de M; de Petiville, de Campagnolles, à défaut du ms. original de la légende égaré vers 1872 ; 4) Ms. lat. Bibl. Nat. n° 10.076 ; 5) Neustria Pia, Normandie, 74 ; 6) Constatations archéologiques. V. Duchesne : Fastes épiscopaux : II, 223 ; Prentout : Essais or. et fond. Duché de Normandie : 52, Littus Saxonicum : 15.]
Vers le VIème siècle, à la faveur des invasions franques et saxonnes, l'idolâtrie reprenait de l'extension parmi les populations primitives de la région. Saint Pair, saint Scubilion, saint Marcoul et saint Sever au milieu des bois auxquels il devait donner son nom, s'attaquèrent aux pratiques païennes en honneur. Un manuscrit rédigé vers la fin du XIème siècle [V. Pigeon : Vies citées : II, 42. L'auteur vérifie cette date au moyen du nom de Sept-Frères cité dans le ms. original et provenant d'après lui, du culte des Sept Frères martyrs] , probablement lors d'une translation de ses reliques, manuscrit longtemps conservé dans l'abbaye de Saint-Sever, a perpétué jusqu'à nous le souvenir de la vie merveilleuse de son patron. C'est à la fin du VIème siècle que naquit Sever, de parents chrétiens de haute condition, pauvres et généreux, vraisemblablement [J'incline plutôt à cause de son nom vers cette origine de saint Sever que vers une origine franque] gallo-romains du Cotentin, ruinés par les invasions et leur charité. Enfant, il fut pâtre du païen Corbecenus, roi du Bessin [Le Bessin, à cette époque, comprenait ce qui fut plus tard, avant la Révolution, le diocèse de Bayeux et s'étendait jusqu'à la Dive. (cf. Procès-verbaux Soc. Ant. Norm. Mars 1922). Cette particularité explique comment le culte de saint Sever put s'étendre jusqu'à la côte du Bessin à Vierville-sur-mer où il existe un château de Saint-Sever (V. de Caumont. Stat. Mon. Calv. III, 664). Jusqu'à la Révolution, la région de Saint-Sever fut rattachée au diocèse de Coutances ; le Cotentin dépendant comme le Bessin de l'autorité de Corbecenus], du Cotentin et du Val de Vire. L'hiver, généralement, ce maître venait s'établir, pour chasser cerfs et biches, au milieu de la forêt sauvage près des écuries gardées par Sever [Au Clos Saint-Sever], sur le flanc du coteau dit le Mont-Manson (bas latin : demeure et petite exploitation, villa) [Cf. Lelièvre : Mansum de Corbecen au Vieux Châtel à Saint-Sever-Calvados, 10, et Ann. Ass. Norm. 1922 ; 87 - Album, planche I.], dominant la petite rivière la Brévogne [Ce nom serait celte (Longnon : Les noms de lieu, 1er fascicule : 55). V. également : Au Pays Virois, mars 1923 ; 51, note.], au Vieux Châtel où subsistent encore les vestiges impressionnants de cette résidence et où il a été retrouvé des fragments de poteries de cette époque. Il aimait ces lieux où le suivaient ses piqueurs et une nombreuse escorte à cause de la proximité des bois et de la douceur du pays. Un camp qu'il devait occuper habituellement, répondant à la disposition et au mode de construction des travaux de Saint-Sever (motte et circonvallations circulaires puissantes de terre ayant été surmontées de charpentes à la lisière d'un bois et au confluent de rivières barrées de voies formant digues) se trouve à Ondefontaine, près d'Aunay, lieu-dit le Moulin-Ronceux, dans un climat réputé pour sa rigueur. Tout près, sous un grand chêne [Des contemporains du rédacteur de cette chronique vers la fin du XIème siècle avaient encore connu ce chêne qui fut renversé par la tempête. "Le chêne actuel - ajoute la chronique - a repoussé de sa souche" (Acta Sanct. 187). Cette forme de culte était propre aux populations germaniques au VIe s. (Procope : Hist. des guerres de Justinien, trad. Martin Fumée, 326). D'autre part, à cette époque, le Bessin était occupé par une colonie saxonne dont le chef était soumis aux directives de Chilpéric et de Frédégonde. (Grégoire de Tours : Hist. des Francs, Livre V, chap. XXVII ; Livre X, chap. IX et note éd. Sté Hist. Fr. T. I, p. 327).], le chef immolait des animaux selon les rites de sa religion : des petits animaux domestiques, des chèvres. A deux mille pas [1 pas = 1 m 47 ; 2000 = 2940 m], s'élevaient deux chapelles : de Saint-Quentin (détruite définitivement en 1792 [Ms. Guérin] et de Saint Martin ayant occupé l'emplacement de l'église actuelle de Sept-frères. Sever et ses coreligionnaires cherchant à échapper aux outrages des païens qui couvraient de railleries les chrétiens et accablaient de coups ceux qu'ils rencontraient isolés, célébraient là leur culte en cachette, spécialement le dimanche. Notre pâtre invoquait la supériorité du pâturage qui entourait ces chapelles pour s'y rendre, et le son convenu des cornes dont les pâtres chrétiens appelaient leurs bestiaux semble avoir été le signal secret du rassemblement pour la prière commune. Ainsi le premier vitrail, à gauche et en haut de la verrière du XIIIe siècle de la chapelle saint Sever dans la cathédrale de Rouen, représente un chrétien à genoux au milieu de al campagne devant une statue, tandis que deux autres fidèles soufflent chacun dans une corne. La charité de Sever commença à s'épanouir et à rechercher toute misère et toute affliction sur la voie publique où il assistait les passants pauvres dont le nombre indique à quelle extrémité le manque de sécurité de ces temps avait réduit nos populations laborieuses. Il accomplit sur cette voie publique une action plus admirable qu'imitable. Dépourvu de tout par ses aumônes, Sever fut importuné par les lamentations d'une pauvresse. Dans l'impossibilité de l'aider autrement, il lui prodiguait des paroles réconfortantes quand ses yeux s'arrêtèrent sur son troupeau et il fit partir la bonne femme avec une jument de Corbecenus et son poulain. Le maître irrité à cette nouvelle se fit amener Sever, al jument, le poulain, et fit recenser ses troupeaux qu'il trouva, par miracle, au complet. Sever gracié, se trouvant fatigué, se coucha un jour, à l'ombre sur l'herbe ; le souci des bêtes dont il avait charge le réveilla bientôt et vivement, en se soulevant, il voulut arracher de terre où il l'avait piquée, la branche de chêne qui lui servait d'aiguillon. Ce bâton avait pris racine [Mêmes faits dans la Vie de saint bon. Les restes de ce chêne avaient été également connus de contemporains du rédacteur de la légende. (Acta Sanct., 187). Ce passage de la légende a eu initialement pour but de déraciner le culte attaché par les compagnons de Corbecenus au chêne dont il vient d'être question. Le culte des arbres a été très répandu dans la préhistoire et l'aspect des plus beaux arbres était inséparable dans l'esprit des premiers chrétiens de véritables frayeurs. (V. Vie de saint Lô : épisode du repas sous l'arbre, Pigeon : Vies citées, I, 136). - Au sujet de la confusion des cultes, V. aussi dans la vie de saint Pair l'épisode de la caverne : Pigeon, Vies cit., I, 43, saint Lô était évêque en 533 et en 549, saint Pair à une date entre 557 et 573. (Duchesne : Fastes, II, 223, 238). - De petits temples (Acta Sanct. 191, Caput V, A) contenant des idoles gauloises ou romaines, probablement les deux, dans l'Avranchin ; le culte de Corbecenus consistant dans l'adoration des forces de la nature, apaisées au moyen de sacrifices d'animaux domestiques (Acta Sanct. 188, Caput I, D) et aussi d'autres temples (Acta Sanct., 190, Caput IV, A), dans le Val de Vire, coexistaient donc avec les petites chapelles chrétiennes.] . Ce chêne merveilleux étendit sa frondaison au cours de longs siècles et aucun homme ni aucun animal n'eut la témérité de s'attaquer ne fût-ce qu'au lierre qui y grimpait sans recevoir un châtiment visible. La Croix Mérienne [Duhamel (Ms. Guérin).] (de : faire la mérienne ou la méridienne : dormir au milieu du jour) commémore ce prodige. Les vieux parents de Sever quittant leur pays vinrent habiter à l'endroit où il se rendait généralement, probablement auprès des chapelles. Ils étaient chargés d'ans et sans aucun bien, mais ses maigres ressources suffisaient à trois tant ses exigences matérielles étaient réduites ; il leur donnait jusqu'aux hardes qui le couvraient et qu'il recevait en salaire. Au cours de ses pérégrinations dans la forêt, au milieu de son troupeau, il lui arriva de rencontrer une vieille femme se lamentant devant son four, comme c'est l'habitude de son âge et de son sexe. Après avoir enfourné une partie de son pain, elle avait vu la pelle se rompre et disparaître dans le brasier. La pâte enfournée allait être perdue quand l'obligeant Sever se précipita dans le four ardent, dit le texte, et passa avec ses mains tout ce qui restait à travers les flammes, puis retira bientôt le pain tout cuit sans subir la moindre injure du feu. [Le principal charme de ce trait provient de la compassion de Sever et aussi de la naïveté du brave moine chroniqueur qui attache un caractère miraculeux au fait de retirer le pain cuit du four à travers la fournaise avec les mains, geste quotidien dans les campagnes. Ce trait n'est pas original, il fait notamment partie des légendes de Valachie et a d'ailleurs été ajouté à la légende après coup. (Pigeon, Vies cit. : II, 44, note 1).] Au milieu de ces grâces, une épreuve allait frapper Sever : l'intendant du chef accusa le saint de fuir secrètement les sacrifices sanglants en l'honneur des dieux et de donner tous les vêtements qu'on lui fournissait aux chrétiens pauvres. Corbecenus fit surveiller le pâtre suspect et le fit vêtir une dernière fois : s'il donnait encore ses hardes, il coucherait nu dehors. Or Sever recommença ; il revint avec sa seule braie ; c'était en hiver, le givre pendait aux branches et une épaisse couche de neige couvrait le sol. Les menaces de Corbecenus furent exécutée, mais ses juments vinrent entourer leur bon pasteur, le réchauffant de leur haleine. Et la neige abondante s'écarta du groupe charmant pour le protéger d'un véritable mur. Ceci se passait dans le pré dit du Miracle ; au Nord-Est coule la fontaine Saint-Sever de l'autre côté du Vieux Châtel en contrebas duquel se trouve le Pré du Miracle, à l'Ouest de l'étang. Averti, Corbecenus, témoin de ce spectacle merveilleux, touché des vertus de son humble pâtre, admira sa religion. Il habilla Sever, lui offrit la direction de ses domaines. Mais le pâtre heureux des nouvelles dispositions de son maître préféra la vie spirituelle. Frappé de ce désintéressement, Corbecenus conquis voulut professer la religion du Dieu dont les serviteurs commandaient à la nature. Ce fut le comble de la joie pour Sever qui priait depuis longtemps pour la conversion du roi et des siens. Il courut chercher un prêtre des environs lui expliquant ce qu'il se passait. Ce dernier tenant d'une main la croix, de l'autre l'Evangile, suivi des Fidèles, se présenta respectueusement avec Sever à Corbecenus qui l'attendait au milieu de sa cour et auquel il donna sa bénédiction. Cette cérémonie accomplie, Sever catéchisa Corbecenus et ses enfants ; il était tellement rempli d'amour que tous ses auditeurs, suivant l'exemple de leur maître, abandonnèrent le paganisme. Enfin, après un jeûne de quarante jours, le chef, à la tête de sa cour, vint se faire baptiser dans la chapelle voisine en fête où il retira ses habits royaux. Son ancien pâtre fut son parrain. Sever, content, voyant les temples disparaître et des églises s'élever, s'arrachant aux supplications, se retira du côté où son chêne miraculeux étendait ses branches. En 558 [Neustria Pia, Normandie, 74], il y réunit les éléments d'une communauté vivant du fruit de son travail de chaque jour pour écarter les inégalités matérielles, riche du peu dont ses membres vivaient : le pain, l'eau et le repos du soir. Un nommé Aegidius [Un Aegidius, évêque d'Avranches, figura au concile d'Orléans en 549. (V. à ce sujet : Acta Sanct. 187, Duchesne, op. cit., II, 223 ; Pigeon, Vies cit. : II, 20). Ce pouvait être un parent de celui qui nous occupe.] y fut le principal disciple de Sever. (...) C'est là toute l'origine du bourg de Saint-Sever. Sever ne sortait que lorsque la charité lui en faisait un devoir et il finit sur les instances de ses fidèles par se faire ordonner prêtre [Il est possible qu'il ait reçu le sacerdoce de Lô, son évêque. Le Val de Vire en effet appartenait au diocèse de Coutances et non à celui d'Avranches, ce dernier étranger à la domination de Corbecenus.]. C'est à cette retraite que les habitants d'Avranches ayant entendu parler de la célébrité et de la sainteté de Sever, avertis d'ailleurs par une inspiration d'en haut, enlevèrent Sever en l'élisant à l'unanimité, après prières et jeûne, évêque d'Avranches [Le chanoine Pigeon admet que Sever pouvait être connu dans l'Avranchin pour y avoir, avant son élection, accompagné Pair dans certaines tournées. (Pigeon : Vies cit. Vie de saint Pair, I, 47 ; Vie de saint Sever, II, 20)]. Voilà donc Sever évêque aussi humble, aussi modeste et aussi affable qu'il l'était dans son pauvre ermitage. On ne le vit jamais se revêtir d'habits précieux, son train ne fut pas superbe, ni sa table délicieuse ; il vécut frugalement, s'habilla pauvrement et ne voulut se distinguer dans la prélature que par la pratique des plus excellentes vertus, n'estimant rien moins que les louanges des hommes et les honneurs de la terre. Sa distinction naturelle l'emportait sur son état de misère. Dans son port et dans ses yeux se lisait la générosité et la bienveillance. ferme dans son attitude, persuasif dans l'exhortation, sévère dans la punition., il engageait les bons à devenir meilleurs et il effrayait les mauvais pour les arracher au mal ; il renversait les idoles, détruisant leurs temples ou les consacrant au culte du Christ. Pourtant l'extrême humilité du saint, jointe à l'austérité la plus complète, à un ardent et infatigable, ne le satisfaisait plus. Bientôt, affaibli par l'âge, il revint à sa chère solitude, répondant ainsi aux espoirs de ses disciples auxquels il prodigua de continuels exemples de vertu. Or, comme s'il suffisait de s'humilier pour être exalté, la gloire, telle une ombre qui suit ceux qui la fuient s'attacha à Sever. Sa renommée s'étendit et son monastère devint un lieu fréquenté de pèlerinage et fertile en fruits surnaturels. Enfin, il tomba gravement malade et prédit le jour de sa mort. Il consolait ses disciples en larmes : "Puisque nous sommes assurés que les fidèles serviteurs de Dieu seront éternellement heureux -leur disait-il - pourquoi s'affecter quand il les retire du monde?... Ce n'est pas les aimer véritablement, mais c'est s'aimer soi-même que de déplorer leur mort..." Il embrassa ses disciples et les renvoya à leurs travaux. Une fièvre violente allait l'emporter quelques jours après, en pleine lucidité, le six juillet d'une année que l'on croit être 570 [V. Neustria Pia, Normandie, 74, et Pigeon, Vies citées, II, 26.]. Il reçut la sépulture qu'il s'était préparée dans sa chapelle sous le choeur de l'église paroissiale actuelle (ancien maître-autel de l'abbaye). Les plus éclatants miracles illustrèrent son tombeau, comme ils avaient fait connaître à la terre les mérites de sa vie bénie. Telle est l'histoire édifiante de Sever dont la naïveté n'exclut pas des faits historiques assez précis pour avoir mérité l'attention d'historiens, notamment de Mgr Duchesne et de M. Prentout.
Après l'incendie et le sac du Vieux Châtel au VIe siècle [Cf. Bull. Ant. Norm., XXXV, 466.], l'occupation prolongée des Bretons nous laissa leurs moeurs, des noms de pays et la race trapue et brune commune dans le Val de Vire. Les hommes du Nord vinrent ravager les côtes de Neustrie sous la conduite d'Hasteng vers 880, anéantissant tout ce que les habitants abandonnaient dans leur fuite précipitée : l'église et le monastère de Saint-Sever furent enveloppés dans la ruine générale, lors de la prise de Saint-Lô dont les conduites d'eau avaient été coupées et du massacre de ses habitants (889). L'église de Saint-Sever fut livrée aux flammes par les barbares, et le monastère renversé de fond en comble. Toutefois, cinquante ans après, lorsqu'à la suite de son chef Rollon, la nation conquérante eut embrassé le Christianisme, une chapelle provisoire fut reconstruite sur les restes de l'ancien évêque D'Avranches. Elles était formée de tiges entrelacées et couverte de paille. Un prêtre la desservit. (...)
Translation du corps de Saint Sever à Rouen. Sous Richard Ier, fils de Guillaume, duc de Normandie, deux clercs de Rouen, allant en pèlerinage au Mont Saint-Michel, s'affligèrent du peu d'honneur rendus aux restes vénérables de saint Sever, signalés par des prodiges. En allant et revenant, ils se tinrent près de la chapelle et veillèrent, sous prétexte de dévotion, à longueur de nuit. A force de renouveler leurs veilles, ils remarquèrent, en rodant ça et là, en dehors du seul prêtre, l'isolement complet du corps du saint ; leur esprit finit par former le projet de le ravir, au point de rechercher le jour et l'heure favorable. Mais le prêtre perspicace, découvrant leurs intentions malveillantes, fut rempli de défiance au point qu'il se fit établir une chaise hérissée de clous d'un demi-pied de long dans laquelle il veilla pour ne pas être surpris par le sommeil. Les autres, troublés dans leur surveillance par ces préparatifs et frustrés dans leur espoir, regagnèrent Rouen et mirent au courant, successivement, l'archevêque et le clergé, dont le conseil décida d'envoyer des délégués au duc Richard pour lui exposer quel éclat donnerait à la principale église de son duché le corps de saint Sever, alors perdu au milieu des fourrés de la forêt, et la nécessité de lui rendre un culte en rapport avec les prodiges que le saint opérait. Embarrassé, le duc s'en remit à la décision d'un conseil de ses seigneurs ; on délibéra de se rendre sur place pour écarter toute résistance et de rapporter le corps, à moins que le prêtre du lieu ne s'y opposât. L'expédition fut organisée dans l'enthousiasme et chacun voulait faire partie du cortège... [A cette époque de la fin du Xème siècle (Richard régna de 942 à 996), le culte des reliques poussait aux excès. (V. Albert Petit, Hist. de Normandie, 57, 71).] Au loin, les habitants ayant deviné les motifs de l'arrivée de cette troupe, et n'étant pas parvenus à trouver un moyen de résister, se répandaient en pleurs, se plaignaient qu'on leur enlevât celui par la prière duquel ils étaient protégés. Ils demandèrent qu'au moins on leur laissât quelque partie du corps à laquelle eux et leurs descendants pussent adresser leurs prières près de Dieu. Mais les envoyés, les poursuivant d'injures, assommèrent ceux qu'ils crurent susceptibles de leur résister et chassèrent brutalement des abords de l'église les protestataires qui se réfugièrent dans la prière avec des larmes. Avec crainte et respect, les Rouennais gagnèrent l'emplacement du tombeau du saint placé devant l'autel et enterré à fleur de terre, en sorte que son sommet seul apparaissait : en effet, ce dépôt précieux confié à la terre avait été placé dans un sarcophage [Nous ignorons si ce sarcophage était en granit. Nous connaissons autour de Saint-Sever peu d'exemples de sarcophages en granit dont l'un trouvé auprès de l'église de Coulouvray sert d'auge actuellement dans une ferme de Boisyvon. M. René Picard nous en signale un second servant d'abreuvoir au presbytère de Saint-Martin-de-Tallevende. Les sarcophages trouvés à Beaumesnil sont en grès coquillier. (V. Au Pays Virois, juin 1913).], dans la crainte des païens. Mais, de chaque côté, gisaient deux autres tombeaux : l'un, celui d'Aegidius, disciple de saint Sever, l'autre, celui d'un saint, personnage dont le nom est tombé dans l'oubli. Entre les deux, le tombeau de saint Sever apparaissait par des signes évidents ; les uns chantaient, d'autres creusaient la terre, d'autres encore la projetaient au dehors ; le sarcophage découvert, ils en ébranlaient la dalle supérieure avec des outils et des pieux et, l'ayant enfin levée à droite, il se dégagea une odeur si suave que tous les spectateurs en furent pénétrés et les malades guéris. Le corps était couché comme celui d'un dormeur, entouré de riches étoffes, embaumé d'onguents précieux. Une châsse tendue de soieries avait été préparée pour des ossements. Elle se trouva trop petite pour le corps rigide qui fut coupé avec un couteau et, revêtu de nouvelles étoffes, puis placé dans la châsse qu'au milieu des cris de joie et de l'émotion, les Rouennais chargèrent sur leurs épaules. A la sortie de l'église, ils furent rejoints par la foule furieuse des paysans qui entreprit d'enlever le corps aux porteurs, mais, à la vue des armes, ils abandonnèrent la partie et prirent la fuite. Le cortège, d'un pas pressé, toute la journée, marcha ; le soleil déclinant ils arrivèrent à un village situé à mille pas d'Evrecy [Préaux est à 5 kil. d'Evrecy. Il y a là une précision exceptionnellement inexacte de la chronique] et qui doit être Préaux où saint Sever est resté l'objet d'un culte particulier (fête patronale saint Sever : dimanche le plus proche du 5 juillet). De plus, les vitraux de Préaux, comme ceux de la chapelle saint Sever, dans la nef de la cathédrale de Rouen, contiennent les armes de Castille [V. de Caumont, Stat. Mon. Calv., I, 136 (Préaux) (réimpression) : ces vitraux seraient de 1269, ce qui s'accorderait avec la période de fondation de la chapelle Saint-Sever dans la nef de la cathédrale de Rouen, chapelle fondée vers 1275, (V. Inv. Arch. Seine-Inf., série Q. t. III, p. 92, n° 3.540). La date de 1269 est celle du mariage de Blanche, fille de Blanche de Castille, avec l'infant de Castille Ferdinand. Les armes France Castille ont été d'ailleurs un emblème national et général.]. Les Rouennais s'arrêtèrent là pour se restaurer ; ils déposèrent la châsse dans l'église, au milieu d'un luminaire. Bien réconfortés, ils partagèrent la nuit entre la veille et le sommeil, et, le matin, animés par des hymnes, ils voulurent soulever le corps sans pouvoir y parvenir pas plus qu'un groupe de cultivateurs appelés à l'aide. Consternés et inquiets, ils décidèrent de tenter de fléchir le saint par des promesses qu'ils tiendraient. Sans plus d'effet, ils lui promirent de le reporter à sa chapelle, de le laisser reposer là où il se trouvait à ce moment. Enfin, ils lui promirent de lui élever sur place une église et alors il fut soulevé avec une telle facilité que si le "poids avait été privé de poids". Ce prodige se répéta à chaque pose jusqu'à Rouen, au milieu d'une affluence de malades venant recevoir la guérison. On arriva ainsi à Emendreville, situé à trois mille pas de Rouen, village, devenu depuis, le faubourg Saint-Sever, et on fit halte ; puis, avant de traverser la Seine pour se rendre à la cathédrale, on alla prévenir l'archevêque, Robert dit le Magnifique, fils de Robert Ier. Il arriva processionnellement à la tête de son clergé. Le prélat, après oraison, voulut avoir l'honneur de faire la levée pour transporter les reliques dans on église ; il ne put seulement les remuer. Tous les ecclésiastiques réunis n'obtinrent pas de meilleur résultat. Le trouble et la crainte s'emparaient déjà de lui, quand un député l'avertit de tout ce qui s'était passé au cours du voyage. Alors, l'archevêque fit le serment de bâtir une église [Cette église romane aurait été détruite en 1417, lors d'un siège de Rouen (Baudry : hist. de saint Sever, 8). Une légende semblable est attachée à l'église de Longpaon à Darnétal près Rouen. Les reliques de saint Ouen n'auraient pu être soulevées à cet endroit que lorsque Rollon converti vint à leur rencontre.] en l'honneur de saint Sever. Il leva aussitôt le corps avec facilité. On prit le chemin de la ville d'où la foule enthousiaste descendit au devant de son nouveau patron qui fut porté avec une joie bruyante dans la cathédrale. C'était le 1er février d'une année que l'on croit être 990 [Neustria Pia, Normandie, 74]. Tous les ans jusqu'au XVIIIe siècle, le panégyrique de saint Sever fut prononcé, au jour anniversaire de sa translation, du haut de l'ancien jubé de la nef, sous l'arcade du Christ à côté des reliques entourées d'un riche luminaire. C'était le seul sermon sonné à la cathédrale avec celui des synodes [Pommeraye : hist. de la cathédrale de Rouen, 80.].
Retour de partie des reliques à Saint-Sever. A partir du milieu du XIe siècle, Richard, puis Hugue d'Avranches rétablirent une abbaye de l'ordre de saint Benoît, sous l'invocation de sainte Marie et de saint Sever. En ce temps là, guillaume Bonne Ame, ancien abbé de Caen, était archevêque de Rouen. Les religieux de Saint-Sever lui députèrent deux des leurs pour lui présenter les voeux de leur communauté. Dans la grande ville, l'archevêque les voyant vêtus de l'habit monastique de son ancien ordre, les reçut si cordialement qu'ils décidèrent de lui demander quelques parties des reliques de leur saint. Ils finirent par obtenir satisfaction, à condition que Dieu ne fît paraître aucune opposition. Le lendemain, de grand matin, ils pénétrèrent dans l'église. Après prières et messe, l'archevêque fit descendre la châsse de saint Sever, l'ouvrit, développa le corps avec précaution. Il sépara "la queue du col" (première vertèbre), avec la peau qui la recouvrait, ainsi que le principal os des doigts du milieu. Il donna le tout aux religieux dans une étoffe de soie. Guillaume les congédia en leur donnant le baiser de paix. Ils rentrèrent enchantés à l'abbaye qui reçut les précieux restes avec transport et respect. On les conserva avec le grand os d'un bras de saint Maur, premier disciple de saint Benoît.
Châsses de saint Sever. Au début, saint Sever reposa à Rouen, dans une châsse magnifique d'or et d'argent, qui dut être détruite pour payer la rançon de Richard Coeur de Lion. A la fin du XIIe siècle, la majeure partie du corps fut déposée dans un beau reliquaire donné par le chanoine Drogo de Trubleville, au Trésor de la cathédrale et aujourd'hui restauré au musée d'antiquités [V. Deville : Mém. Ant. Norm. X, 347 et Atlas, 10e vol., pl. III et IV ; Pigeon : Vies cit. II, 24 ; Album, planche III.]. En 1290, le chapitre de Rouen fit faire un grand chef de vermeil représentant un évêque mitré dans lequel fut placé le chef de saint Sever [Bibl. de Rouen : ms de 1298, n° 1405, p.6 ; Pommeraye, op. cit. 80.], et, en 1298, un de ses bras fut mis dans un autre reliquaire d'argent. Dans la cathédrale reconstruite après l'incendie de 1200, la quatrième chapelle du bas-côté gauche, fondée en 1275 [Inv. Arch. Seine-Inf., Série G, t. III, p. 92, n° 3.540.] fut dédiée à saint Sever et reçut des vitraux semblables à ceux de Saint-Sever, et portant les mêmes armes de France et de Castille que nous avons déjà observées à Préaux avec la date 1269. Plus tard, la chapelle de la nef de la cathédrale et la châsse de saint Sever furent confiées à la garde et aux soins d'une importante confrérie qui s'était placée sous le patronage du saint : celle des chapeliers, des aumussiers et des mitainiers de Rouen.
Troisième translation des reliques de saint Sever. Lettre des humbles chanoine et chapitre de la sainte église métropolitaine de Rouen au roi Louis XIII (11 janvier 1649). Après les cérémonies d'usage pour répondre à la demande du roi désirant des reliques, les châsses de saint Sever et de saint Senier furent ouvertes : "Premièrement, on a tiré d'un vieux tabernacle couvert de différents métaux qui portait en dehors le nom de saint Sever en lettres gothiques, un grand sac de viel cuir en son entier qui contenait la meilleure et principale partie du corps du même saint couvert de sa peau, sans corruption, lequel étant posé sur la table, on en tira la première vertèbre du col, et le corps remis comme auparavant dans le sac de cuir, et enveloppé, nous l'avons fait renfermer dans la châsse..."
"Ces deux reliques ainsi tirées, nous les avons fait envelopper, chacune en leur particulier, dans du drap de soie écarlate et marquer avec des tablettes et mettre dans un petit coffre garni de serrure et de clef pour être portées avec diligence à Votre Majesté."
Le roi les mit à une place d'honneur dans son oratoire.
Désormais, les reliques de Sever se trouvaient donc à Rouen, dans la cathédrale, à Saint-Sever, dans l'église abbatiale, et dans l'oratoire de Louis XIII à Saint-Germain. La grande châsse de la cathédrale échappa au sac de Rouen par les protestants, en 1562, mais tomba dans la tourmente révolutionnaire de 1792. Elle échoua en piètre état, vide, dépourvue de tout ce qui pouvait la rendre précieuse entre les mains de deux rouennais. Jusqu'en 1792 également, les reliques rapportées à Saint-Sever furent l'objet d'une fête, chaque année, le 1er février. Dans la procession publique, sous les arcades du cloître, un moine portait solennellement un reliquaire en forme de main, contenant les minimes parcelles du corps du saint accordées à ses prédécesseurs. Après la Révolution, un seul os existait encore à Saint-Aubin-des-Bois, dans un reliquaire tenu par un ange sur l'autel. La Fabrique de Saint-Aubin le rendit à Saint-Sever et la translation solennelle eut lieu le 24 juillet 1839. Il existait dans la cathédrale de Rouen, dans le transept septentrional une seconde chapelle dédiée à saint Sever et qui en porte encore la mention. L'église actuelle de la paroisse Saint-Sever de Rouen est moderne. La cathédrale d'Avranches détruite possédait également une chapelle que se partageaient saint Sever et saint Senier. Un grand vitrail à quatre lancettes surmontées d'une grande rose rappelait les épisodes de la vie des deux saints. Enfin, l'église de Chevreville (canton de Saint-Hilaire-du-Harcouët) possède également une chapelle en l'honneur de saint Sever. Nous verrons qu'au XIe siècle ce culte suivant les Normands s'étendra jusque dans le Somerset, en Angleterre. (...)"
in Histoire de Saint-Sever-Calvados par Léon Lelièvre. Réédition Paris Res Universis 1990.
“Saint Sever (1er février) : Saint Sever naquit au Ve siècle, dans le pays de Coutances. L'indigence força ses parents à le mettre au service de Corbecenus, chef des Saxones Bajocassini, qui avait autorité sur le Bessin et le Val de Vire. Le jeune homme fut chargé de la garde des écuries dans un centre de chasse que possédait son maître sur les bords de la Vire et de la Beuvrogne. D'une vie austère, Sever donnait le peu qu'il avait aux plus pauvres que lui. Sa confiance sans bornes en la Providence lui suggéra des audaces téméraires, si Dieu n'avait pris soin de les justifier. N'ayant plus rien à lui, il donne à une pauvre vieille une des juments confiées à sa garde. Irrité, Corbecenus fait mettre la pauvresse avec l'animal sous bonne garde et compte le troupeau. Par la grâce de Dieu, le nombre est trouvé juste. Un jour que, selon sa coutume, il avait donné ses habits aux malheureux, son maître, fatigué de les remplacer, le renvoie presque nu dans la campagne. C'était l'hiver et la neige tombait à gros flocons. Transi de froid, épuisé de fatigue mais fort de sa confiance en Dieu, Sever tombe dans la neige et s'endort. Ses cavales viennent lui faire un rempart de leur corps et le réchauffer de leur haleine. Les dimanches, le jeune pasteur allait prier dans l'église Saint-Martin-de-Sept-Frères ou dans la chapelle voisine de Saint-Quentin. Il fichait sa houlette au milieu de la plaine pour servir de ralliement à son troupeau. Un jour le bâton prit racine et devint avec l'âge le plus bel arbre de la forêt. Emu de tant de merveilles, Corbecenus demanda le baptême. Sever fut son catéchiste et son parrain. Le nouveau converti donna à son parrain un emplacement pour bâtir un monastère. Bientôt il y eut grande affluence. Sever reçut les ordres et fut le premier supérieur de la communauté. A la mort de saint Senier, évêque d'Avranches, le pieux cénobite fut par acclamation nommé son successeur. Le saint hésita d'abord puis s'inclina devant la volonté de Dieu. Compatissant pour les misères humaines, miséricordieux pour les pécheurs, tout brûlant du salut des âmes, il changea la face de son diocèse en établissant solidement le royaume du Christ sur les ruines du paganisme. L'âge, les fatigues le forcèrent d'abandonner le fardeau de l'épiscopat. Il se retira dans son monastère, où il mourut le jour qu'il avait annoncé, vers, 570. Il fut enterré dans l'église conventuelle dédiée à la Sainte Vierge. Sa sainteté éclata par de nombreux miracles opérés sur son tombeau. Vers 950 des pèlerins de Rouen, revenant du Mont Saint‑Michel, passèrent par ce lieu et furent touchés de son presque complet abandon malgré les miracles qui s'y étaient accomplis. Avec la permission de Hugues II, leur évêque, et de Richard Sans-Peur, duc de Normandie, ils entreprirent d'enrichir des reliques du saint la capitale du duché. Ils levèrent le corps et se mirent en route. Ils firent halte à Préaux, près Evrecy, dont ils ne purent repartir qu'après s'être engagés à élever une église ou une chapelle dans tous les endroits où ils s'arrêteraient. Le terme de leur voyage fut Emendreville, faubourg de Rouen. Une église y fut édifiée. Elle a été plusieurs fois reconstruite, mais le culte de saint Sever dont elle a pris le nom, n'a cessé d'y être en honneur.”
in Cinquante Saints Normands, étude historique et archéologique de Frédéric Alix ; Société d’Impression de Basse-Normandie, Caen 1933.
“ Les reliques. On n'imagine guère de nos jours de lieu de culte d'un saint sans sa statue, son "image". Au XIe siècle, il y avait des peintures murales mais pas de statues en ronde-bosse. Par contre il y avait des reliquaires. On sait que, fuyant les pirates Vikings, moines et clercs de nos diocèses emportèrent avec eux, et souvent fort loin, les corps saints de leurs monastères et églises. C'était pour eux des trésors plus précieux encore que les vases sacrés et autres richesses mobilières. Une des conséquences; de cet exode fut de propager, à grande distance le culte de plusieurs saints pré normands dont l’audience serait peut-être restée régionale. Le cas le plus extraordinaire fut sans doute celui du Cotentinais saint Marcoul, devenu à Corbény, non loin de Reims, saint dynastique. La dispersion au loin des châsses fut cruellement ressentie lors de la réorganisation religieuse du duché. Pas de culte possible sans reliques. Or la “récupération ” s'avéra très difficile. L'abbaye Saint-Ouen de Rouen eut la chance de se foire restituer, dès le Xe siècle, le corps de son saint patron, et cela explique certainement son importance comme lieu de pèlerinage au XIe siècle. Quelques corps saints avaient pourtant été "oubliés" in situ. Quelle aubaine de les retrouver après la tourmente. Ce fut le cas de saint Evroul dont le corps fut rependant volé par Hugues de France en 946 et emporté à Orléans. Les moines du Mont-Saint-Michel retrouvèrent le corps de saint Aubert vers 1012. Ceux de Saint-Wandrille, en 1026, le corps de saint Wulfran. dont la châsse parcourut le diocèse lors des grandes épidémies médiévales. On retrouva saint Contest à Bayeux, saint Sever au lieu qui porte son nom ; mais un commando venu de Rouen le transporta à la cathédrale métropolitaine. Les rapts de reliques furent choses courantes, masqués par de pieuses légendes, par exemple la châsse qui se fait trop lourde pour aller plus loin d'où l'origine du culte de saint Hildevert à Gournay-en-Bray. Et puis il y eut des supercheries : le pauvre évêque de Bayeux, Odon de Conteville, frère utérin du duc Guillaume, se vit attribuer par les gens de Corbeil, les restes mortels d`un paysan, alors qu'il attendait le corps de saint Exupère. L'évêque de Sées, plus heureux, réussit à se faire restituer les ossements de saint Latuin, son premier prédécesseur que conservait l’église d’Anet, mais cela seulement en ... 1970 !
Finalement on dut, un peu partout, se contenter de parcelles osseuses. Les corps saints, partis intacts au IXe siècle, furent véritablement dépecés. Les châsses firent place aux reliquaires. Notons que les premières statues en ronde-bosse furent presque toutes des reliquaires, telle celle de sainte Foy à Conques. Mais, grâce à cette fragmentation, devenue courante et universelle, la Normandie vit arriver des reliques de saints qui lui étaient totalement étrangers, et ce tut l'origine d'un mouvement d’importation qui allait se poursuivre tout au long des siècles. Ainsi s'implantèrent chez nous au XIe siècle les cultes de sainte Catherine, de sainte Barbe, de sainte Madeleine, de sainte Foy, de saint Valentin, de saint Blaise. C'est l'époque où les monastères commencèrent à se constituer leurs trésors de reliques, le Mont-Saint-Michel par exemple, comme l'indique Robert de Torigni. ”
In Guillaume le Conquérant et son temps - catalogue d’exposition – Art de basse-Normandie n°97 – Hiver 1987-1988.
“ Une des plus merveilleuses histoires d'alourdissement est celle des reliques de saint Sever. Elle est racontée dans le manuscrit de la Vie et de la Translation du saint, rédigé probablement au XIe siècle après la deuxième translation. On y lit que deux clercs de Rouen, pèlerins du Mont Saint-Michel, s'arrêtèrent à Saint-Sever où se trouvait le tombeau du saint. Ils voulurent s'emparer du corps, mais en furent empêchés par le gardien de l'église. A leur retour à Rouen, ils obtinrent du duc Richard Ier (943-996), par l'entremise de l'archevêque, le pouvoir de renouveler et (le réaliser leur projet. La résistance locale fut vaine. Le corps saint partit pour Rouen sous bonne escorte. La première étape fut un village à “ mille pas ” d'Evrecy, probablement Préaux, où l'on passa la nuit. Au matin la chasse se fit si lourde qu'on ne put la soulever de terre. On n'y parvint qu'après avoir promis au saint de lui élever une église en ce lieu : ce fut l'église Saint-Sever de Préaux. Le même prodige se renouvela à chaque étape et se reproduisit une dernière fois au faubourg d'Emendreville, sur la rive gauche de la Seine. L'archevêque accourut avec son clergé : il dut se rendre à l'évidence. Impossible de terminer la route. Alors lui aussi promit de bâtir en ce lieu une église dédiée au saint. Le faubourg d'Emendreville devint celui de Saint-Sever. Le cortège parvint ensuite sans difficulté à la cathédrale où il fut reçu dans l'allégresse. Ceci se passait, paraît-il, le 1er février 990 (selon. la Neustria Pia). ”
in Le culte populaire et l’iconographie des saints en Normandie - Etude générale - par le Dr Jean Fournée - Société Parisienne d’Histoire et d’Archéologie Normandes, N° spécial des cahiers Léopold Delisle, 1973.
“ Dans la forêt de Saint-sever (Calvados), la Croix Mérienne ne date que de 1858, mais elle a remplacé une croix plus ancienne qui, elle-même, avait remplacé un chêne dédié à saint Sever. La tradition voulait que ce chêne ait été le bâton planté dans le sol par le saint (cf. J.-P. Seguin, Légendes traditionnelles de la Normandie, pp. 8182). Nous sommes ici dans le groupe légendaire des bâtons qui fleurissent (saint Joseph, saint Christophe, etc ... ). ”
In Le culte populaire et l’iconographie des saints en Normandie - Etude générale - par Dr. Jean Fournée, Société Parisienne d’Histoire et d’Archéologie Normandes, n° spécial des cahiers Léopold Delisle 1973.
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