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SEBASTIEN
Officier de l'armée romaine martyrisé pour avoir conservé sa foi ; mort le 20 janvier 288 ; Fête : 20 janvier. Une commune du Calvados porte son nom : Préaux-Saint-Sébastien.
BLANGY-LE-CHÂTEAU :
“ Ce saint antipesteux reconverti dans les maladies contagieuses est honoré dans le Calvados. On le vénère ordïnairement à Blangy‑le‑Château en l'église Notre‑Dame où il a sa statue. ”
in Les saints qui guérissent en Normandie, tome 2, d'Hippolyte Gancel, éditions Ouest France 2003.
PRÉAUX-SAINT-SÉBASTIEN :
"Sébastien, officier de l'armée romaine né à Narbonne, fut dénoncé comme chrétien et supplicié. Attaché à un poteau, il fut criblé de flèches par des archers. On le crut mort. Mais sa femme, venue pour l'ensevelir, le trouva en vie. Dix jours plus tard, ayant refusé de renier sa foi, il fut accablé de coups et jeté dans les égouts de Rome. Il mourut ainsi le 20 janvier 288. Ses reliques, apportées à Rome, y aurait stoppé une épidémie de peste. A ce miracle posthume est lié son don antipesteux. De nos jours, il est invoqué contre les maladies contagieuses et contre les fièvres. Mais bien que la statue du saint transpercé de flèches figure dans de nombreuses églises normandes, son culte parait en régression. (...) Dans le Calvados, à Préaux-Saint-Sébastien (canton d'Orbec), le saint est vénéré chaque année le lundi de Pentecôte (procession autour de l'église avant et après la messe solennelle, avec participation des "frères charitons". Il y est prié contre les maladies infectieuses."
in Les saints qui guérissent en Normandie d'Hippolyte Gancel, éditions Ouest France 1998.
"Mais nul saint thaumaturge ne suscitait autant de dévotion que saint Sébastien particulièrement vénéré à Préaux près de Livarot. Il protégeait de la peste dont les épidémies firent tant de ravages jadis. De Falaise à Bernay, de Lisieux à Exmes, les foules arrivaient en procession et à pied. Certes parfois cela donnait lieu à des désordres : la route était longue et quand il "faisait soif" le cidre pouvait jouer des tours : "Ah ! que l'cidre de Préaux est bon ! ora pro nobis" psalmodiait-on... au retour, souvent plus profane que l'aller. Le clergé déplorait la surenchère des habitants de l'endroit pour loger les pèlerins, les nourrir ; bref, commercialiser les abords des lieux saints est de toutes les latitudes et de toutes les époques. Mais aussi comment ralentir l'ardeur des foules sans freiner leur, dévotion?"
in Images de jadis en Pays d'Auge de J. Chennebenoist et M. Campion, éditions Garnier.
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SEVER ou SEVERE
Mort vers 690 ; natif du Cotentin, de parents pauvres, il devient prêtre, puis abbé, puis évêque d'Avranches. Peu avant sa mort, il revient à la vie monastique. Fête : 1er février. Une commune du Calvados porte ce nom : Saint-Sever-Calvados.
SAINT-SEVER/EVRECY/PREAUX-BOCAGE :
"La forêt doit son nom à Sever, esclave, au Vème siècle chez un leude païen nommé Corbécénus, roi du Bessin et propriétaire de la forêt. Dans son histoire ecclésiastique de Normandie, Trigan écrit : "Quand Sever fut en âge de gagner son pain, ses parents le mirent au service du grand seigneur qui parait avoir eu le gouvernement de cette basse province sous nos premiers rois. Ce Seigneur, appelé Corbec, avait un château placé sur la pente d'une montagne, près de la Brévogne, petite rivière qui prend sa source dans la forêt de Saint-Sever (...). Il aimait fort cet endroit, à cause de la commodité des forêts et des pâturages, et y venait tous les ans passer un temps considérable. Il y faisait nourrir une grande quantité de cavales et de poulains, et la garde de ces cavales fut l'emploi qu'il donna au jeune Sever. Le pâtre s'attaqua aux pratiques antireligieuses de son maître qui venait chaque année passer la saison hivernale dans son château situé au nord-est de la forêt et dont il reste quelques vestiges sous forme de levées de terre concentriques autour d'une motte centrale. Le culte de Corbécénus consistait à adorer les forces de la nature apaisées grâce au sacrifice de certains animaux (animaux domestiques essentiellement et chèvres en particulier) immolés selon un rite particulier, sous un grand chêne ombreux et bienveillant, près des écuries que gardait Sever, sises au lieu-dit "le clos Saint Sever", sur le flanc du coteau dit "le Mont-Manson". Ces pratiques ne pouvaient plaire au catholique dévot qui voulut convertir le roi. Un jour, Sever, fatigué par son labeur quotidien, s'allongea sur l'herbe, à l'abri des frondaisons. Le souci des bêtes dont il assumait le gardiennage le réveilla en sursaut et en se levant il voulut arracher la branche de chêne qui lui servait d'aiguillon. Celle-ci avait pris racine. L'arbre grandit et devint une belle et puissante masse végétale, admirée de tous les habitants de la contrée et personne ne voulut s'y attaquer. La Croix Mérienne commémore cet événement. Ce fut une addition de miracles de ce tonneau qui poussa Corbécénus, ébahi par tant de prodiges, à se convertir. Pour récompenser son esclave, le roi accorda à Sever un terrain où, en 558, il se retira pour fonder un monastère. Puis, en 565, il devint évêque d'Avranches et revint mourir, cinq ans plus tard, au pays de son enfance."
in Bois et Forêts de Normandie par J.M. Foubert, Corlet (1985).
"Les légendes, a dit un maître, sont la moitié de l'histoire. La meilleure moitié, ajouterons-nous, car elles peignent son côté intime, et sont l'histoire du coeur. Elles ont un autre avantage de surcroît, celui de conserver le souvenir de faits réels que l'histoire écrite n'a pas enregistrés, et que l'imagination populaire a poétiquement ornés de circonstances merveilleuses. Il en est ainsi de la vie de saint Sever. Sa mémoire n'a pas cessé d'être vénérée dans le Val-de-Vire, son culte d'y être fervent. C'est que saint Sever personnifie en lui la première vertu du chrétien : la charité, dont, jusqu'à son dernier souffle, il fut le véritable apôtre. Saint Sever naquit au Vème siècle, dans le Val-de-Vire à la lisière d'une vieille forêt, où les Gaulois, nos pères, avaient célébré les mystères de leur religion, ainsi que le témoigne un antique monument entouré de traditions, la Pierre Couplée qu'on y remarque encore. Déjà le Christianisme avait pénétré dans cette partie des Gaules, et les parents de Sever l'élevèrent dans la foi du Christ, qu'ils professaient. Ils étaient serfs de Corbécénus, seigneur ou gouverneur de la contrée, dont le château s'élevait à une demi-lieue d'une bourgade qui a reçu depuis le nom de saint Sever. Ainsi que la plupart des demeures des hommes puissants à cette époque, l'habitation de Corbécénus était vaste et fortifiée, toute peuplée de gens de guerre, et de nombreux serviteurs occupés à la culture du domaine, car elle était à la fois un château et une exploitation agricole. Passionné pour la chasse, Corbécénus s'adonnait sans cesse à ce turbulent plaisir, et poursuivait les fauves de la forêt jusqu'au plus profond de leurs repaires. Loups, sangliers, cerfs, biches et renards tombaient chaque jour à foison sous les flèches, les dards, les épieux du rude chasseur et de ses compagnons. Et du matin au soir le galop des chevaux, les fanfares des trompes, les cris des chasseurs, les gémissements des fauves et les aboiements des meutes furieuses, faisaient retentir les échos de l'antique forêt. Adonné au paganisme, Corbécénus rendait un culte idolâtre à un arbre tombant de vétusté, un chêne sacré, qu'entouraient aussi d'une vénération superstitieuse les habitants d'alentour. Cependant, deux petits temples chrétiens s'élevaient à peu de distance de là. L'un dédié à saint Martin, l'apôtre des Gaules, est devenu l'église de Sept-Frères ; l'autre était la chapelle de Saint-Quentin. Les chrétiens les fréquentaient pour y prier en commun aux jours des dimanches et des fêtes ; mais, comme ils étaient moins nombreux que les païens, c'était à la dérobée qu'ils s'y réunissaient. Sever qui était doué d'une vive piété ne manquait jamais de se joindre à eux. Parfois aussi il y venait seul, et pendant que ses cavales paissaient aux environs, il adressait ses effusions à Dieu dans l'un ou l'autre temple. L'herbe était meilleure par là, disait-il à ceux que surprenaient ces fréquents déplacements. "Il y aura toujours des pauvres parmi nous", a dit Jésus ; la misère était grande alors dans le pays, et Sever partageait avec ceux qui avaient faim sa nourriture de la journée. Il éprouvait une profonde et tendre pitié pour les misères qui affligeaient ses regards, et il eût voulu les soulager toutes. A l'exemple du bon Saint Martin, qu'il allait si souvent prier, il partageait parfois ses vêtements avec ceux qui étaient nus, qui avaient froid ; il se dépouillait pour les couvrir. Son maître le vêtissait en même temps qu'il le nourrissait ; il apprit bientôt l'usage qu'il faisait de ses vêtements, si souvent renouvelés, et lui adressa de vifs reproches. Sever les écoutait avec humilité, mais néanmoins continuait à faire le bien ; et Dieu qui aimait son jeune serviteur, approuvait sa conduite, et ne tarda guère à le lui témoigner par des prodiges. Un jour, qu'il regardait ses cavales bondir joyeusement et folâtrer avec leurs poulains, une pauvre veuve, réduite au dernier dénuement, se présenta devant lui et fit appel à sa charité. Sever avait déjà distribué tout ce qu'il avait, il ne lui restait rien à donner. Mais son coeur, ému de la plus tendre pitié, ne put résister aux prières de la pauvre mère ; il lui dit d'emmener la meilleure de ses cavales avec son poulain. Corbécénus en fut bientôt instruit ; sa colère s'alluma soudain, et la femme dut lui ramener la jument et le poulain qu'il fit enfermer en lieu sûr. Puis pour surprendre Sever en faute et le confondre, il l'envoya quérir, et le fit comparaître devant lui avec son troupeau qui fut compté avec soin, mais trouvé complet. Corbécénus fit recommencer l'épreuve et voulut compter lui-même ; à sa grande stupéfaction, il trouva encore exactement le nombre des animaux confiés à la garde de son serviteur, qu'il dut renvoyer absous. Le jeune pâtre, voyant par ce miracle que Dieu marquait sa prédilection pour ses oeuvres de charité, s'affermit dans sa résolution de les continuer. Mais cette épreuve, au lieu de désarmer la colère de Corbécénus, ne fit que l'accroître. A l'instigation de son intendant qui était un zélé païen, et comme tel haïssait les chrétiens, il ordonna de fermer les portes de sa demeure à Sever lorsque, le soir, il reviendrait dépouillé de ses vêtements. On était alors au milieu d'un rigoureux hiver, et un jour que le pâtre était entouré de misérables criant le froid et la faim, la compassion qu'il éprouva pour leurs souffrances fut si vive qu'il oublia la défense de son maître : après avoir distribué sa nourriture, il se dépouilla de ses vêtements pour couvrir les plus nus. Le soir, à demi vêtu et grelottant de froid, il regagna le château, laissant au pâtis son troupeau. Il trouva la porte verrouillée et malgré ses appels elle demeura fermée. Repoussé par les hommes, Sever s'adressa à celui qui est le refuge des malheureux, et sa prière fut entendue. Il retourna vers ses cavales, qui accoururent en hennissant de plaisir de le revoir. Elles l'entourèrent aussitôt d'un cercle pressé, et se tinrent la tête basse, concentrées les unes contre les autres, comme les rayons de la roue vers le moyeu, pour se donner réciproquement la chaleur de leur corps. De leur tiède haleine elle réchauffèrent celui qui, de ses vêtements, avait réchauffé les membres glacés des malheureux ; et il en fut ainsi toute la nuit. Mais chose plus merveilleuse encore ; quoique la neige tombât abondamment, chassée en épais tourbillons par les rafales, et que partout elle couvrit la terre d'un épais linceul, elle respecta le cercle qu'avaient formé les cavales autour de leur gardien : pas un brin ne tomba sur lui ni sur son troupeau. Elle ne tarda guère à former comme un rempart qui les mit à l'abri de l'âpreté de la bise ; de sorte qu'ils ne sentirent rien de la rigueur de cette nuit glaciale. Le souvenir de ce miracle est toujours vivant dans la mémoire fidèle des populations de la contrée, et le lieu où il s'accomplit est connu sous le nom de : pré du miracle. A quelque pas se trouve la fontaine de Saint Sever. Des gens que Corbécénus envoya le matin pour savoir ce que le pâtre était devenu, le trouvèrent à genoux au milieu de ses cavales, priant avec ferveur, et remerciant Dieu de la grâce qu'il lui avait accordée. Corbécénus voulut s'assurer par ses yeux du prodige, et il y reconnut une preuve éclatante de la vertu de son serviteur. Sa colère évanouie, il se prit d'une vive amitié pour celui que naguère il haïssait et méprisait. Il résolut de se l'attacher, et comme témoignage d'estime, voulut lui donner l'intendance de sa maison. Sever dont les vues étaient différentes, répondit qu'il ne se sentait pas capable de remplir cet emploi ; pour seule grâce il demanda qu'il lui fût permis de se retirer dans une solitude, afin de pouvoir se consacrer tout entier à Dieu. Touché d'un si grand désintéressement, Corbécénus lui accorda cette permission, mais témoigna le désir de connaître ce Dieu, pour lequel Sever renonçait aux biens et aux honneurs de ce monde. Sever qui, malgré la dureté que lui avait témoigné son maître, l'aimait, et ne cessait de prier pour sa conversion, fut comblé de joie de le voir dans ces heureuses dispositions. Il se mit aussitôt à l'instruire dans la foi chrétienne ; lui en fit connaître la douceur et la pureté, et Dieu donna une force si persuasive à sa parole, que Corbécénus, sa famille et toute sa maison confessèrent le nom de Jésus. Les eaux du baptême les purifièrent de leurs idolâtries. Sa mission accomplie, Sever reçut la permission de partir. Il choisit, à la prière de Corbécénus, une retraite peu éloignée afin que celui-ci pût avoir recours à ses conseils dans ses besoins spirituels. A une demi-lieue du château se trouvait un lieu désert et sauvage, perdu au milieu de la forêt. Sever le choisit pour sa retraite. Il y éleva une humble chapelle à la Sainte-Vierge, et se construisit auprès une cabane de branchages, couverte de genêts et de mottes de gazon. Alors se trouva réalisé le désir qu'il avait depuis si longtemps de mener une vie plus parfaite, en se consacrant sans relâche à la prière, au jeûne et aux plus rudes macérations. Bientôt Dieu lui accorda une autre consolation. L'exemple de Corbécénus avait fructifié, et grâce aux travaux apostoliques du saint, toute la contrée fut évangélisée et renonça à ses idolâtries pour embrasser la vraie foi. Sever n'eût pu, malgré son zèle, suffire seul à la tâche. De nombreux disciples vinrent l'aider dans son apostolat, groupèrent leurs cabanes autour de la sienne, et ils s'appliquèrent à les former à la vertu de ses exemples. Parmi ses coopérateurs, il faut citer entr'autres le bienheureux Gilles, dont le nom a mérité d'être associé au sien dans la mémoire reconnaissante des habitants du pays. Plus tard, Sever fut ordonné prêtre par le saint évêque Laud, qui voulut le récompenser de ses vertus en l'élevant au sacerdoce. Il était réservé encore à une dignité plus élevée. Le siège d'Avranches étant devenu vacant par la mort de saint Senier, sa réputation de sainteté y fit appeler saint Sever. Le clergé et le peuple vinrent le trouver dans sa cellule, et par leurs instances le contraignirent de prendre le gouvernement de leur église. Mais dans son humilité, il voulait fuir tout ce qui ressemblait aux honneurs, et sans cesse il soupirait au souvenir de sa chère solitude de la forêt. Il résolut d'y retourner et demanda un successeur avec une si touchante sollicitude qu'il fallut céder à ses larmes. Revenu dans sa cabane rustique, il reprit avec bonheur le bourdon des ermites, la direction de son troupeau de pieux disciples, et le cours de ses bonnes oeuvres. Ce fut ainsi, en remplaçant les joies du corps par les macérations, les préoccupations de la terre par l'amour du ciel, et en combattant les restes de l'idolâtrie, que Sever acheva son existence, arrivée à une extrême vieillesse. Plus il approchait de sa fin, plus il sentait s'affermir la ferveur de ses sentiments de piété. Quand il comprit que la mort était proche, il rassembla autour de lui ses compagnons de solitude pour leur annoncer qu'il était sur le point de les quitter. Après leur avoir donné le baiser de paix, et s'être recommandé à leurs prières, il les congédia, tous en larmes, pleins de tristesse, et se renferma en lui-même pour se préparer à la mort. Une légère fièvre vint rompre les derniers liens qui l'attachaient à la terre, et il s'endormit doucement dans la paix du Seigneur, au chant des cantiques, aux murmures des oraisons de ses frères en jésus qui l'entouraient. C'est, dit la légende d'un bréviaire de Rouen, le 6 juillet 509, qu'eut lieu la mort du bienheureux, qui reçut la sépulture dans sa petite chapelle. L'ermitage qu'il avait fondé devint par la suite une abbaye de bénédictins, détruite par les Normands vers la fin du IXe siècle. Sous les ruines de la chapelle, parmi les ronces et les orties, dans la solitude, se cachait la tombe de celui qui fut la providence visible de la contrée et sa lumière. Mais elle n'avait pas été abandonnée, elle n'avait pas cessé d'attirer les fidèles Ils venaient adresser leurs prières à celui qui fut l'ami des pauvres, des faibles, des affligés, dont l'inépuisable charité n'avait cessé qu'avec sa vie, et lui demandaient son intercession toute puissante. Par la suite les ruines furent déblayées, le tombeau mis à découvert, on y éleva une modeste église couverte seulement de branches entrelacées et de paille. Des miracles s'y accomplirent, et deux prêtres attachés à la métropole chrétienne de Rouen, qui revenaient d'un pèlerinage au mont Saint-Michel, attirés par les merveilles qu'on racontait, pensèrent que la première église de la province était seule digne de posséder les reliques d'un si grand saint. Ils tentèrent de s'en emparer, mais leur entreprise ne réussit pas, grâce à la vigilance du prêtre chargé du service de la chapelle. A leur retour à Rouen ils s'empressèrent d'instruire le duc Richard de ce qu'ils avaient vu, et ajoutèrent que le corps d'un saint, célèbre par tant de miracles, ne pouvait rester dans un lieu désert, parmi les ronces et les épines, privé des honneurs qui lui convenaient. Le duc se rendit à leurs raisons, et il ordonna qu'on transportât ces reliques dans l'église métropolitaine de sa capitale. Elles furent alors enlevées, malgré les prières et les larmes de la population du pays, et transportaient à Rouen. La légende ajoute que la première station où s'arrêta le cortège en partant de Saint-Sever fut Evrecy, bourg situé à quelques lieues de Caen. La dernière fut en vue de Rouen, où l'archevêque et son clergé allèrent recevoir les reliques. Mais on ne put les faire entrer dans la ville ; Sever, même après sa mort, avait voulu rester étranger à ces honneurs que de son vivant, il avait fui et méprisés. C'est une humble église de banlieue qui reçut le précieux trésor ; et depuis elle a pris le nom de Saint-Sever, ainsi que le faubourg qui maintenant l'entoure des rangs pressés de ses maisons. Parmi les nombreux miracles qui signalèrent l'existence de l'ami des pauvres, il en est un des plus gracieux que rapporte la légende. Un jour de l'été, qu'il faisait une chaleur extrême, Sever alla faire pâturer ses cavales dans une clairière de la forêt, où depuis s'est élevée la Croix Mérienne (De méridienne : de midi) . Dans ce temps on avait, comme dans le nôtre, l'habitude de faire mérienne (dormir) à midi. Le jeune pâtre planta son bâton en terre, se coucha sur l'herbe, et dormit bientôt d'un profond sommeil. A son réveil il chercha des yeux son bâton, et ne le vit plus : un grand arbre l'avait remplacé. Durant son sommeil, la tige morte avait repris sa vie éteinte, s'était élancée puissamment développée. La sève s'était remis à circuler dans les veines taries, et crevant la légère écorce, avait donné naissance à des bourgeons d'où sortaient des rameaux qui s'étendirent vigoureusement alentour, s'entrelacèrent et se couvrirent d'un vert feuillage. Le bâton était maintenant un chêne gigantesque, roi de la forêt, au tronc superbe velouté de mousses, et dont les cicatrices et les rugosités accusaient une existence de plusieurs siècles. Ses racines plongeaient profondément dans la terre, et son épaisse feuillée avait protégé le repos du pâtre de son ombre et de sa fraîcheur. De là le nom de Mérienne donné à la croix qui fut élevée en ce lieu, comme souvenir de ce miracle. (On retrouve dans plusieurs légendes chrétiennes ce bâton qui reprend vie, notamment dans celle de saint Bon. Il en est question aussi dans un conte populaire de la Valachie.)"
in Esquisses du Bocage Normand de J. Lecoeur (1883).
A Préaux-Bocage, on trouve l'église "sous l'invocation de St. Sever, et l'on rapporte à ce sujet que les reliques de ce saint étant transportées à Rouen s'arrêtèrent à Préaux, et devinrent si lourdes, quand on voulut les enlever, qu'on ne put y parvenir qu'après avoir fait voeu de mettre la paroisse sous son invocation." in Statistique Monumentale du Calvados d'Arcisse de Caumont (1874).
"[Les sources auxquelles ont été puisés les renseignements qui suivent sont : 1) Version Frédéric Flovet : Acta Sanct., Saint Sever, 1er février : 187 ; 2) Pigeon : Vies des Saints du Diocèse de Coutances et d'Avranches : II, 42 (texte latin d'après ms. de Saint Sever, copie collationnée avec variantes des ms. en notes, par Guérin vers 1690 (V. Pigeon : le Diocèse d'Avranches, I, 11) ; 3) Version vers 1696, de Duhamel, moine de N.6D. de Saint-Sever (V. Ann. Ass. Norm., 1922 ; 194) conservée dans le ms. de J.B. Guérin (XIXe s.). Toutes nos références au ms. Guérin concernent ce dernier actuellement entre les mains de M; de Petiville, de Campagnolles, à défaut du ms. original de la légende égaré vers 1872 ; 4) Ms. lat. Bibl. Nat. n° 10.076 ; 5) Neustria Pia, Normandie, 74 ; 6) Constatations archéologiques. V. Duchesne : Fastes épiscopaux : II, 223 ; Prentout : Essais or. et fond. Duché de Normandie : 52, Littus Saxonicum : 15.]
Vers le VIème siècle, à la faveur des invasions franques et saxonnes, l'idolâtrie reprenait de l'extension parmi les populations primitives de la région. Saint Pair, saint Scubilion, saint Marcoul et saint Sever au milieu des bois auxquels il devait donner son nom, s'attaquèrent aux pratiques païennes en honneur. Un manuscrit rédigé vers la fin du XIème siècle [V. Pigeon : Vies citées : II, 42. L'auteur vérifie cette date au moyen du nom de Sept-Frères cité dans le ms. original et provenant d'après lui, du culte des Sept Frères martyrs] , probablement lors d'une translation de ses reliques, manuscrit longtemps conservé dans l'abbaye de Saint-Sever, a perpétué jusqu'à nous le souvenir de la vie merveilleuse de son patron. C'est à la fin du VIème siècle que naquit Sever, de parents chrétiens de haute condition, pauvres et généreux, vraisemblablement [J'incline plutôt à cause de son nom vers cette origine de saint Sever que vers une origine franque] gallo-romains du Cotentin, ruinés par les invasions et leur charité. Enfant, il fut pâtre du païen Corbecenus, roi du Bessin [Le Bessin, à cette époque, comprenait ce qui fut plus tard, avant la Révolution, le diocèse de Bayeux et s'étendait jusqu'à la Dive. (cf. Procès-verbaux Soc. Ant. Norm. Mars 1922). Cette particularité explique comment le culte de saint Sever put s'étendre jusqu'à la côte du Bessin à Vierville-sur-mer où il existe un château de Saint-Sever (V. de Caumont. Stat. Mon. Calv. III, 664). Jusqu'à la Révolution, la région de Saint-Sever fut rattachée au diocèse de Coutances ; le Cotentin dépendant comme le Bessin de l'autorité de Corbecenus], du Cotentin et du Val de Vire. L'hiver, généralement, ce maître venait s'établir, pour chasser cerfs et biches, au milieu de la forêt sauvage près des écuries gardées par Sever [Au Clos Saint-Sever], sur le flanc du coteau dit le Mont-Manson (bas latin : demeure et petite exploitation, villa) [Cf. Lelièvre : Mansum de Corbecen au Vieux Châtel à Saint-Sever-Calvados, 10, et Ann. Ass. Norm. 1922 ; 87 - Album, planche I.], dominant la petite rivière la Brévogne [Ce nom serait celte (Longnon : Les noms de lieu, 1er fascicule : 55). V. également : Au Pays Virois, mars 1923 ; 51, note.], au Vieux Châtel où subsistent encore les vestiges impressionnants de cette résidence et où il a été retrouvé des fragments de poteries de cette époque. Il aimait ces lieux où le suivaient ses piqueurs et une nombreuse escorte à cause de la proximité des bois et de la douceur du pays. Un camp qu'il devait occuper habituellement, répondant à la disposition et au mode de construction des travaux de Saint-Sever (motte et circonvallations circulaires puissantes de terre ayant été surmontées de charpentes à la lisière d'un bois et au confluent de rivières barrées de voies formant digues) se trouve à Ondefontaine, près d'Aunay, lieu-dit le Moulin-Ronceux, dans un climat réputé pour sa rigueur. Tout près, sous un grand chêne [Des contemporains du rédacteur de cette chronique vers la fin du XIème siècle avaient encore connu ce chêne qui fut renversé par la tempête. "Le chêne actuel - ajoute la chronique - a repoussé de sa souche" (Acta Sanct. 187). Cette forme de culte était propre aux populations germaniques au VIe s. (Procope : Hist. des guerres de Justinien, trad. Martin Fumée, 326). D'autre part, à cette époque, le Bessin était occupé par une colonie saxonne dont le chef était soumis aux directives de Chilpéric et de Frédégonde. (Grégoire de Tours : Hist. des Francs, Livre V, chap. XXVII ; Livre X, chap. IX et note éd. Sté Hist. Fr. T. I, p. 327).], le chef immolait des animaux selon les rites de sa religion : des petits animaux domestiques, des chèvres. A deux mille pas [1 pas = 1 m 47 ; 2000 = 2940 m], s'élevaient deux chapelles : de Saint-Quentin (détruite définitivement en 1792 [Ms. Guérin] et de Saint Martin ayant occupé l'emplacement de l'église actuelle de Sept-frères. Sever et ses coreligionnaires cherchant à échapper aux outrages des païens qui couvraient de railleries les chrétiens et accablaient de coups ceux qu'ils rencontraient isolés, célébraient là leur culte en cachette, spécialement le dimanche. Notre pâtre invoquait la supériorité du pâturage qui entourait ces chapelles pour s'y rendre, et le son convenu des cornes dont les pâtres chrétiens appelaient leurs bestiaux semble avoir été le signal secret du rassemblement pour la prière commune. Ainsi le premier vitrail, à gauche et en haut de la verrière du XIIIe siècle de la chapelle saint Sever dans la cathédrale de Rouen, représente un chrétien à genoux au milieu de al campagne devant une statue, tandis que deux autres fidèles soufflent chacun dans une corne. La charité de Sever commença à s'épanouir et à rechercher toute misère et toute affliction sur la voie publique où il assistait les passants pauvres dont le nombre indique à quelle extrémité le manque de sécurité de ces temps avait réduit nos populations laborieuses. Il accomplit sur cette voie publique une action plus admirable qu'imitable. Dépourvu de tout par ses aumônes, Sever fut importuné par les lamentations d'une pauvresse. Dans l'impossibilité de l'aider autrement, il lui prodiguait des paroles réconfortantes quand ses yeux s'arrêtèrent sur son troupeau et il fit partir la bonne femme avec une jument de Corbecenus et son poulain. Le maître irrité à cette nouvelle se fit amener Sever, al jument, le poulain, et fit recenser ses troupeaux qu'il trouva, par miracle, au complet. Sever gracié, se trouvant fatigué, se coucha un jour, à l'ombre sur l'herbe ; le souci des bêtes dont il avait charge le réveilla bientôt et vivement, en se soulevant, il voulut arracher de terre où il l'avait piquée, la branche de chêne qui lui servait d'aiguillon. Ce bâton avait pris racine [Mêmes faits dans la Vie de saint bon. Les restes de ce chêne avaient été également connus de contemporains du rédacteur de la légende. (Acta Sanct., 187). Ce passage de la légende a eu initialement pour but de déraciner le culte attaché par les compagnons de Corbecenus au chêne dont il vient d'être question. Le culte des arbres a été très répandu dans la préhistoire et l'aspect des plus beaux arbres était inséparable dans l'esprit des premiers chrétiens de véritables frayeurs. (V. Vie de saint Lô : épisode du repas sous l'arbre, Pigeon : Vies citées, I, 136). - Au sujet de la confusion des cultes, V. aussi dans la vie de saint Pair l'épisode de la caverne : Pigeon, Vies cit., I, 43, saint Lô était évêque en 533 et en 549, saint Pair à une date entre 557 et 573. (Duchesne : Fastes, II, 223, 238). - De petits temples (Acta Sanct. 191, Caput V, A) contenant des idoles gauloises ou romaines, probablement les deux, dans l'Avranchin ; le culte de Corbecenus consistant dans l'adoration des forces de la nature, apaisées au moyen de sacrifices d'animaux domestiques (Acta Sanct. 188, Caput I, D) et aussi d'autres temples (Acta Sanct., 190, Caput IV, A), dans le Val de Vire, coexistaient donc avec les petites chapelles chrétiennes.] . Ce chêne merveilleux étendit sa frondaison au cours de longs siècles et aucun homme ni aucun animal n'eut la témérité de s'attaquer ne fût-ce qu'au lierre qui y grimpait sans recevoir un châtiment visible. La Croix Mérienne [Duhamel (Ms. Guérin).] (de : faire la mérienne ou la méridienne : dormir au milieu du jour) commémore ce prodige. Les vieux parents de Sever quittant leur pays vinrent habiter à l'endroit où il se rendait généralement, probablement auprès des chapelles. Ils étaient chargés d'ans et sans aucun bien, mais ses maigres ressources suffisaient à trois tant ses exigences matérielles étaient réduites ; il leur donnait jusqu'aux hardes qui le couvraient et qu'il recevait en salaire. Au cours de ses pérégrinations dans la forêt, au milieu de son troupeau, il lui arriva de rencontrer une vieille femme se lamentant devant son four, comme c'est l'habitude de son âge et de son sexe. Après avoir enfourné une partie de son pain, elle avait vu la pelle se rompre et disparaître dans le brasier. La pâte enfournée allait être perdue quand l'obligeant Sever se précipita dans le four ardent, dit le texte, et passa avec ses mains tout ce qui restait à travers les flammes, puis retira bientôt le pain tout cuit sans subir la moindre injure du feu. [Le principal charme de ce trait provient de la compassion de Sever et aussi de la naïveté du brave moine chroniqueur qui attache un caractère miraculeux au fait de retirer le pain cuit du four à travers la fournaise avec les mains, geste quotidien dans les campagnes. Ce trait n'est pas original, il fait notamment partie des légendes de Valachie et a d'ailleurs été ajouté à la légende après coup. (Pigeon, Vies cit. : II, 44, note 1).] Au milieu de ces grâces, une épreuve allait frapper Sever : l'intendant du chef accusa le saint de fuir secrètement les sacrifices sanglants en l'honneur des dieux et de donner tous les vêtements qu'on lui fournissait aux chrétiens pauvres. Corbecenus fit surveiller le pâtre suspect et le fit vêtir une dernière fois : s'il donnait encore ses hardes, il coucherait nu dehors. Or Sever recommença ; il revint avec sa seule braie ; c'était en hiver, le givre pendait aux branches et une épaisse couche de neige couvrait le sol. Les menaces de Corbecenus furent exécutée, mais ses juments vinrent entourer leur bon pasteur, le réchauffant de leur haleine. Et la neige abondante s'écarta du groupe charmant pour le protéger d'un véritable mur. Ceci se passait dans le pré dit du Miracle ; au Nord-Est coule la fontaine Saint-Sever de l'autre côté du Vieux Châtel en contrebas duquel se trouve le Pré du Miracle, à l'Ouest de l'étang. Averti, Corbecenus, témoin de ce spectacle merveilleux, touché des vertus de son humble pâtre, admira sa religion. Il habilla Sever, lui offrit la direction de ses domaines. Mais le pâtre heureux des nouvelles dispositions de son maître préféra la vie spirituelle. Frappé de ce désintéressement, Corbecenus conquis voulut professer la religion du Dieu dont les serviteurs commandaient à la nature. Ce fut le comble de la joie pour Sever qui priait depuis longtemps pour la conversion du roi et des siens. Il courut chercher un prêtre des environs lui expliquant ce qu'il se passait. Ce dernier tenant d'une main la croix, de l'autre l'Evangile, suivi des Fidèles, se présenta respectueusement avec Sever à Corbecenus qui l'attendait au milieu de sa cour et auquel il donna sa bénédiction. Cette cérémonie accomplie, Sever catéchisa Corbecenus et ses enfants ; il était tellement rempli d'amour que tous ses auditeurs, suivant l'exemple de leur maître, abandonnèrent le paganisme. Enfin, après un jeûne de quarante jours, le chef, à la tête de sa cour, vint se faire baptiser dans la chapelle voisine en fête où il retira ses habits royaux. Son ancien pâtre fut son parrain. Sever, content, voyant les temples disparaître et des églises s'élever, s'arrachant aux supplications, se retira du côté où son chêne miraculeux étendait ses branches. En 558 [Neustria Pia, Normandie, 74], il y réunit les éléments d'une communauté vivant du fruit de son travail de chaque jour pour écarter les inégalités matérielles, riche du peu dont ses membres vivaient : le pain, l'eau et le repos du soir. Un nommé Aegidius [Un Aegidius, évêque d'Avranches, figura au concile d'Orléans en 549. (V. à ce sujet : Acta Sanct. 187, Duchesne, op. cit., II, 223 ; Pigeon, Vies cit. : II, 20). Ce pouvait être un parent de celui qui nous occupe.] y fut le principal disciple de Sever. (...) C'est là toute l'origine du bourg de Saint-Sever. Sever ne sortait que lorsque la charité lui en faisait un devoir et il finit sur les instances de ses fidèles par se faire ordonner prêtre [Il est possible qu'il ait reçu le sacerdoce de Lô, son évêque. Le Val de Vire en effet appartenait au diocèse de Coutances et non à celui d'Avranches, ce dernier étranger à la domination de Corbecenus.]. C'est à cette retraite que les habitants d'Avranches ayant entendu parler de la célébrité et de la sainteté de Sever, avertis d'ailleurs par une inspiration d'en haut, enlevèrent Sever en l'élisant à l'unanimité, après prières et jeûne, évêque d'Avranches [Le chanoine Pigeon admet que Sever pouvait être connu dans l'Avranchin pour y avoir, avant son élection, accompagné Pair dans certaines tournées. (Pigeon : Vies cit. Vie de saint Pair, I, 47 ; Vie de saint Sever, II, 20)]. Voilà donc Sever évêque aussi humble, aussi modeste et aussi affable qu'il l'était dans son pauvre ermitage. On ne le vit jamais se revêtir d'habits précieux, son train ne fut pas superbe, ni sa table délicieuse ; il vécut frugalement, s'habilla pauvrement et ne voulut se distinguer dans la prélature que par la pratique des plus excellentes vertus, n'estimant rien moins que les louanges des hommes et les honneurs de la terre. Sa distinction naturelle l'emportait sur son état de misère. Dans son port et dans ses yeux se lisait la générosité et la bienveillance. ferme dans son attitude, persuasif dans l'exhortation, sévère dans la punition., il engageait les bons à devenir meilleurs et il effrayait les mauvais pour les arracher au mal ; il renversait les idoles, détruisant leurs temples ou les consacrant au culte du Christ. Pourtant l'extrême humilité du saint, jointe à l'austérité la plus complète, à un ardent et infatigable, ne le satisfaisait plus. Bientôt, affaibli par l'âge, il revint à sa chère solitude, répondant ainsi aux espoirs de ses disciples auxquels il prodigua de continuels exemples de vertu. Or, comme s'il suffisait de s'humilier pour être exalté, la gloire, telle une ombre qui suit ceux qui la fuient s'attacha à Sever. Sa renommée s'étendit et son monastère devint un lieu fréquenté de pèlerinage et fertile en fruits surnaturels. Enfin, il tomba gravement malade et prédit le jour de sa mort. Il consolait ses disciples en larmes : "Puisque nous sommes assurés que les fidèles serviteurs de Dieu seront éternellement heureux -leur disait-il - pourquoi s'affecter quand il les retire du monde?... Ce n'est pas les aimer véritablement, mais c'est s'aimer soi-même que de déplorer leur mort..." Il embrassa ses disciples et les renvoya à leurs travaux. Une fièvre violente allait l'emporter quelques jours après, en pleine lucidité, le six juillet d'une année que l'on croit être 570 [V. Neustria Pia, Normandie, 74, et Pigeon, Vies citées, II, 26.]. Il reçut la sépulture qu'il s'était préparée dans sa chapelle sous le choeur de l'église paroissiale actuelle (ancien maître-autel de l'abbaye). Les plus éclatants miracles illustrèrent son tombeau, comme ils avaient fait connaître à la terre les mérites de sa vie bénie. Telle est l'histoire édifiante de Sever dont la naïveté n'exclut pas des faits historiques assez précis pour avoir mérité l'attention d'historiens, notamment de Mgr Duchesne et de M. Prentout.
Après l'incendie et le sac du Vieux Châtel au VIe siècle [Cf. Bull. Ant. Norm., XXXV, 466.], l'occupation prolongée des Bretons nous laissa leurs moeurs, des noms de pays et la race trapue et brune commune dans le Val de Vire. Les hommes du Nord vinrent ravager les côtes de Neustrie sous la conduite d'Hasteng vers 880, anéantissant tout ce que les habitants abandonnaient dans leur fuite précipitée : l'église et le monastère de Saint-Sever furent enveloppés dans la ruine générale, lors de la prise de Saint-Lô dont les conduites d'eau avaient été coupées et du massacre de ses habitants (889). L'église de Saint-Sever fut livrée aux flammes par les barbares, et le monastère renversé de fond en comble. Toutefois, cinquante ans après, lorsqu'à la suite de son chef Rollon, la nation conquérante eut embrassé le Christianisme, une chapelle provisoire fut reconstruite sur les restes de l'ancien évêque D'Avranches. Elles était formée de tiges entrelacées et couverte de paille. Un prêtre la desservit. (...)
Translation du corps de Saint Sever à Rouen. Sous Richard Ier, fils de Guillaume, duc de Normandie, deux clercs de Rouen, allant en pèlerinage au Mont Saint-Michel, s'affligèrent du peu d'honneur rendus aux restes vénérables de saint Sever, signalés par des prodiges. En allant et revenant, ils se tinrent près de la chapelle et veillèrent, sous prétexte de dévotion, à longueur de nuit. A force de renouveler leurs veilles, ils remarquèrent, en rodant ça et là, en dehors du seul prêtre, l'isolement complet du corps du saint ; leur esprit finit par former le projet de le ravir, au point de rechercher le jour et l'heure favorable. Mais le prêtre perspicace, découvrant leurs intentions malveillantes, fut rempli de défiance au point qu'il se fit établir une chaise hérissée de clous d'un demi-pied de long dans laquelle il veilla pour ne pas être surpris par le sommeil. Les autres, troublés dans leur surveillance par ces préparatifs et frustrés dans leur espoir, regagnèrent Rouen et mirent au courant, successivement, l'archevêque et le clergé, dont le conseil décida d'envoyer des délégués au duc Richard pour lui exposer quel éclat donnerait à la principale église de son duché le corps de saint Sever, alors perdu au milieu des fourrés de la forêt, et la nécessité de lui rendre un culte en rapport avec les prodiges que le saint opérait. Embarrassé, le duc s'en remit à la décision d'un conseil de ses seigneurs ; on délibéra de se rendre sur place pour écarter toute résistance et de rapporter le corps, à moins que le prêtre du lieu ne s'y opposât. L'expédition fut organisée dans l'enthousiasme et chacun voulait faire partie du cortège... [A cette époque de la fin du Xème siècle (Richard régna de 942 à 996), le culte des reliques poussait aux excès. (V. Albert Petit, Hist. de Normandie, 57, 71).] Au loin, les habitants ayant deviné les motifs de l'arrivée de cette troupe, et n'étant pas parvenus à trouver un moyen de résister, se répandaient en pleurs, se plaignaient qu'on leur enlevât celui par la prière duquel ils étaient protégés. Ils demandèrent qu'au moins on leur laissât quelque partie du corps à laquelle eux et leurs descendants pussent adresser leurs prières près de Dieu. Mais les envoyés, les poursuivant d'injures, assommèrent ceux qu'ils crurent susceptibles de leur résister et chassèrent brutalement des abords de l'église les protestataires qui se réfugièrent dans la prière avec des larmes. Avec crainte et respect, les Rouennais gagnèrent l'emplacement du tombeau du saint placé devant l'autel et enterré à fleur de terre, en sorte que son sommet seul apparaissait : en effet, ce dépôt précieux confié à la terre avait été placé dans un sarcophage [Nous ignorons si ce sarcophage était en granit. Nous connaissons autour de Saint-Sever peu d'exemples de sarcophages en granit dont l'un trouvé auprès de l'église de Coulouvray sert d'auge actuellement dans une ferme de Boisyvon. M. René Picard nous en signale un second servant d'abreuvoir au presbytère de Saint-Martin-de-Tallevende. Les sarcophages trouvés à Beaumesnil sont en grès coquillier. (V. Au Pays Virois, juin 1913).], dans la crainte des païens. Mais, de chaque côté, gisaient deux autres tombeaux : l'un, celui d'Aegidius, disciple de saint Sever, l'autre, celui d'un saint, personnage dont le nom est tombé dans l'oubli. Entre les deux, le tombeau de saint Sever apparaissait par des signes évidents ; les uns chantaient, d'autres creusaient la terre, d'autres encore la projetaient au dehors ; le sarcophage découvert, ils en ébranlaient la dalle supérieure avec des outils et des pieux et, l'ayant enfin levée à droite, il se dégagea une odeur si suave que tous les spectateurs en furent pénétrés et les malades guéris. Le corps était couché comme celui d'un dormeur, entouré de riches étoffes, embaumé d'onguents précieux. Une châsse tendue de soieries avait été préparée pour des ossements. Elle se trouva trop petite pour le corps rigide qui fut coupé avec un couteau et, revêtu de nouvelles étoffes, puis placé dans la châsse qu'au milieu des cris de joie et de l'émotion, les Rouennais chargèrent sur leurs épaules. A la sortie de l'église, ils furent rejoints par la foule furieuse des paysans qui entreprit d'enlever le corps aux porteurs, mais, à la vue des armes, ils abandonnèrent la partie et prirent la fuite. Le cortège, d'un pas pressé, toute la journée, marcha ; le soleil déclinant ils arrivèrent à un village situé à mille pas d'Evrecy [Préaux est à 5 kil. d'Evrecy. Il y a là une précision exceptionnellement inexacte de la chronique] et qui doit être Préaux où saint Sever est resté l'objet d'un culte particulier (fête patronale saint Sever : dimanche le plus proche du 5 juillet). De plus, les vitraux de Préaux, comme ceux de la chapelle saint Sever, dans la nef de la cathédrale de Rouen, contiennent les armes de Castille [V. de Caumont, Stat. Mon. Calv., I, 136 (Préaux) (réimpression) : ces vitraux seraient de 1269, ce qui s'accorderait avec la période de fondation de la chapelle Saint-Sever dans la nef de la cathédrale de Rouen, chapelle fondée vers 1275, (V. Inv. Arch. Seine-Inf., série Q. t. III, p. 92, n° 3.540). La date de 1269 est celle du mariage de Blanche, fille de Blanche de Castille, avec l'infant de Castille Ferdinand. Les armes France Castille ont été d'ailleurs un emblème national et général.]. Les Rouennais s'arrêtèrent là pour se restaurer ; ils déposèrent la châsse dans l'église, au milieu d'un luminaire. Bien réconfortés, ils partagèrent la nuit entre la veille et le sommeil, et, le matin, animés par des hymnes, ils voulurent soulever le corps sans pouvoir y parvenir pas plus qu'un groupe de cultivateurs appelés à l'aide. Consternés et inquiets, ils décidèrent de tenter de fléchir le saint par des promesses qu'ils tiendraient. Sans plus d'effet, ils lui promirent de le reporter à sa chapelle, de le laisser reposer là où il se trouvait à ce moment. Enfin, ils lui promirent de lui élever sur place une église et alors il fut soulevé avec une telle facilité que si le "poids avait été privé de poids". Ce prodige se répéta à chaque pose jusqu'à Rouen, au milieu d'une affluence de malades venant recevoir la guérison. On arriva ainsi à Emendreville, situé à trois mille pas de Rouen, village, devenu depuis, le faubourg Saint-Sever, et on fit halte ; puis, avant de traverser la Seine pour se rendre à la cathédrale, on alla prévenir l'archevêque, Robert dit le Magnifique, fils de Robert Ier. Il arriva processionnellement à la tête de son clergé. Le prélat, après oraison, voulut avoir l'honneur de faire la levée pour transporter les reliques dans on église ; il ne put seulement les remuer. Tous les ecclésiastiques réunis n'obtinrent pas de meilleur résultat. Le trouble et la crainte s'emparaient déjà de lui, quand un député l'avertit de tout ce qui s'était passé au cours du voyage. Alors, l'archevêque fit le serment de bâtir une église [Cette église romane aurait été détruite en 1417, lors d'un siège de Rouen (Baudry : hist. de saint Sever, 8). Une légende semblable est attachée à l'église de Longpaon à Darnétal près Rouen. Les reliques de saint Ouen n'auraient pu être soulevées à cet endroit que lorsque Rollon converti vint à leur rencontre.] en l'honneur de saint Sever. Il leva aussitôt le corps avec facilité. On prit le chemin de la ville d'où la foule enthousiaste descendit au devant de son nouveau patron qui fut porté avec une joie bruyante dans la cathédrale. C'était le 1er février d'une année que l'on croit être 990 [Neustria Pia, Normandie, 74]. Tous les ans jusqu'au XVIIIe siècle, le panégyrique de saint Sever fut prononcé, au jour anniversaire de sa translation, du haut de l'ancien jubé de la nef, sous l'arcade du Christ à côté des reliques entourées d'un riche luminaire. C'était le seul sermon sonné à la cathédrale avec celui des synodes [Pommeraye : hist. de la cathédrale de Rouen, 80.].
Retour de partie des reliques à Saint-Sever. A partir du milieu du XIe siècle, Richard, puis Hugue d'Avranches rétablirent une abbaye de l'ordre de saint Benoît, sous l'invocation de sainte Marie et de saint Sever. En ce temps là, guillaume Bonne Ame, ancien abbé de Caen, était archevêque de Rouen. Les religieux de Saint-Sever lui députèrent deux des leurs pour lui présenter les voeux de leur communauté. Dans la grande ville, l'archevêque les voyant vêtus de l'habit monastique de son ancien ordre, les reçut si cordialement qu'ils décidèrent de lui demander quelques parties des reliques de leur saint. Ils finirent par obtenir satisfaction, à condition que Dieu ne fît paraître aucune opposition. Le lendemain, de grand matin, ils pénétrèrent dans l'église. Après prières et messe, l'archevêque fit descendre la châsse de saint Sever, l'ouvrit, développa le corps avec précaution. Il sépara "la queue du col" (première vertèbre), avec la peau qui la recouvrait, ainsi que le principal os des doigts du milieu. Il donna le tout aux religieux dans une étoffe de soie. Guillaume les congédia en leur donnant le baiser de paix. Ils rentrèrent enchantés à l'abbaye qui reçut les précieux restes avec transport et respect. On les conserva avec le grand os d'un bras de saint Maur, premier disciple de saint Benoît.
Châsses de saint Sever. Au début, saint Sever reposa à Rouen, dans une châsse magnifique d'or et d'argent, qui dut être détruite pour payer la rançon de Richard Coeur de Lion. A la fin du XIIe siècle, la majeure partie du corps fut déposée dans un beau reliquaire donné par le chanoine Drogo de Trubleville, au Trésor de la cathédrale et aujourd'hui restauré au musée d'antiquités [V. Deville : Mém. Ant. Norm. X, 347 et Atlas, 10e vol., pl. III et IV ; Pigeon : Vies cit. II, 24 ; Album, planche III.]. En 1290, le chapitre de Rouen fit faire un grand chef de vermeil représentant un évêque mitré dans lequel fut placé le chef de saint Sever [Bibl. de Rouen : ms de 1298, n° 1405, p.6 ; Pommeraye, op. cit. 80.], et, en 1298, un de ses bras fut mis dans un autre reliquaire d'argent. Dans la cathédrale reconstruite après l'incendie de 1200, la quatrième chapelle du bas-côté gauche, fondée en 1275 [Inv. Arch. Seine-Inf., Série G, t. III, p. 92, n° 3.540.] fut dédiée à saint Sever et reçut des vitraux semblables à ceux de Saint-Sever, et portant les mêmes armes de France et de Castille que nous avons déjà observées à Préaux avec la date 1269. Plus tard, la chapelle de la nef de la cathédrale et la châsse de saint Sever furent confiées à la garde et aux soins d'une importante confrérie qui s'était placée sous le patronage du saint : celle des chapeliers, des aumussiers et des mitainiers de Rouen.
Troisième translation des reliques de saint Sever. Lettre des humbles chanoine et chapitre de la sainte église métropolitaine de Rouen au roi Louis XIII (11 janvier 1649). Après les cérémonies d'usage pour répondre à la demande du roi désirant des reliques, les châsses de saint Sever et de saint Senier furent ouvertes : "Premièrement, on a tiré d'un vieux tabernacle couvert de différents métaux qui portait en dehors le nom de saint Sever en lettres gothiques, un grand sac de viel cuir en son entier qui contenait la meilleure et principale partie du corps du même saint couvert de sa peau, sans corruption, lequel étant posé sur la table, on en tira la première vertèbre du col, et le corps remis comme auparavant dans le sac de cuir, et enveloppé, nous l'avons fait renfermer dans la châsse..."
"Ces deux reliques ainsi tirées, nous les avons fait envelopper, chacune en leur particulier, dans du drap de soie écarlate et marquer avec des tablettes et mettre dans un petit coffre garni de serrure et de clef pour être portées avec diligence à Votre Majesté."
Le roi les mit à une place d'honneur dans son oratoire.
Désormais, les reliques de Sever se trouvaient donc à Rouen, dans la cathédrale, à Saint-Sever, dans l'église abbatiale, et dans l'oratoire de Louis XIII à Saint-Germain. La grande châsse de la cathédrale échappa au sac de Rouen par les protestants, en 1562, mais tomba dans la tourmente révolutionnaire de 1792. Elle échoua en piètre état, vide, dépourvue de tout ce qui pouvait la rendre précieuse entre les mains de deux rouennais. Jusqu'en 1792 également, les reliques rapportées à Saint-Sever furent l'objet d'une fête, chaque année, le 1er février. Dans la procession publique, sous les arcades du cloître, un moine portait solennellement un reliquaire en forme de main, contenant les minimes parcelles du corps du saint accordées à ses prédécesseurs. Après la Révolution, un seul os existait encore à Saint-Aubin-des-Bois, dans un reliquaire tenu par un ange sur l'autel. La Fabrique de Saint-Aubin le rendit à Saint-Sever et la translation solennelle eut lieu le 24 juillet 1839. Il existait dans la cathédrale de Rouen, dans le transept septentrional une seconde chapelle dédiée à saint Sever et qui en porte encore la mention. L'église actuelle de la paroisse Saint-Sever de Rouen est moderne. La cathédrale d'Avranches détruite possédait également une chapelle que se partageaient saint Sever et saint Senier. Un grand vitrail à quatre lancettes surmontées d'une grande rose rappelait les épisodes de la vie des deux saints. Enfin, l'église de Chevreville (canton de Saint-Hilaire-du-Harcouët) possède également une chapelle en l'honneur de saint Sever. Nous verrons qu'au XIe siècle ce culte suivant les Normands s'étendra jusque dans le Somerset, en Angleterre. (...)"
in Histoire de Saint-Sever-Calvados par Léon Lelièvre. Réédition Paris Res Universis 1990.
“Saint Sever (1er février) : Saint Sever naquit au Ve siècle, dans le pays de Coutances. L'indigence força ses parents à le mettre au service de Corbecenus, chef des Saxones Bajocassini, qui avait autorité sur le Bessin et le Val de Vire. Le jeune homme fut chargé de la garde des écuries dans un centre de chasse que possédait son maître sur les bords de la Vire et de la Beuvrogne. D'une vie austère, Sever donnait le peu qu'il avait aux plus pauvres que lui. Sa confiance sans bornes en la Providence lui suggéra des audaces téméraires, si Dieu n'avait pris soin de les justifier. N'ayant plus rien à lui, il donne à une pauvre vieille une des juments confiées à sa garde. Irrité, Corbecenus fait mettre la pauvresse avec l'animal sous bonne garde et compte le troupeau. Par la grâce de Dieu, le nombre est trouvé juste. Un jour que, selon sa coutume, il avait donné ses habits aux malheureux, son maître, fatigué de les remplacer, le renvoie presque nu dans la campagne. C'était l'hiver et la neige tombait à gros flocons. Transi de froid, épuisé de fatigue mais fort de sa confiance en Dieu, Sever tombe dans la neige et s'endort. Ses cavales viennent lui faire un rempart de leur corps et le réchauffer de leur haleine. Les dimanches, le jeune pasteur allait prier dans l'église Saint-Martin-de-Sept-Frères ou dans la chapelle voisine de Saint-Quentin. Il fichait sa houlette au milieu de la plaine pour servir de ralliement à son troupeau. Un jour le bâton prit racine et devint avec l'âge le plus bel arbre de la forêt. Emu de tant de merveilles, Corbecenus demanda le baptême. Sever fut son catéchiste et son parrain. Le nouveau converti donna à son parrain un emplacement pour bâtir un monastère. Bientôt il y eut grande affluence. Sever reçut les ordres et fut le premier supérieur de la communauté. A la mort de saint Senier, évêque d'Avranches, le pieux cénobite fut par acclamation nommé son successeur. Le saint hésita d'abord puis s'inclina devant la volonté de Dieu. Compatissant pour les misères humaines, miséricordieux pour les pécheurs, tout brûlant du salut des âmes, il changea la face de son diocèse en établissant solidement le royaume du Christ sur les ruines du paganisme. L'âge, les fatigues le forcèrent d'abandonner le fardeau de l'épiscopat. Il se retira dans son monastère, où il mourut le jour qu'il avait annoncé, vers, 570. Il fut enterré dans l'église conventuelle dédiée à la Sainte Vierge. Sa sainteté éclata par de nombreux miracles opérés sur son tombeau. Vers 950 des pèlerins de Rouen, revenant du Mont Saint‑Michel, passèrent par ce lieu et furent touchés de son presque complet abandon malgré les miracles qui s'y étaient accomplis. Avec la permission de Hugues II, leur évêque, et de Richard Sans-Peur, duc de Normandie, ils entreprirent d'enrichir des reliques du saint la capitale du duché. Ils levèrent le corps et se mirent en route. Ils firent halte à Préaux, près Evrecy, dont ils ne purent repartir qu'après s'être engagés à élever une église ou une chapelle dans tous les endroits où ils s'arrêteraient. Le terme de leur voyage fut Emendreville, faubourg de Rouen. Une église y fut édifiée. Elle a été plusieurs fois reconstruite, mais le culte de saint Sever dont elle a pris le nom, n'a cessé d'y être en honneur.”
in Cinquante Saints Normands, étude historique et archéologique de Frédéric Alix ; Société d’Impression de Basse-Normandie, Caen 1933.
“ Les reliques. On n'imagine guère de nos jours de lieu de culte d'un saint sans sa statue, son "image". Au XIe siècle, il y avait des peintures murales mais pas de statues en ronde-bosse. Par contre il y avait des reliquaires. On sait que, fuyant les pirates Vikings, moines et clercs de nos diocèses emportèrent avec eux, et souvent fort loin, les corps saints de leurs monastères et églises. C'était pour eux des trésors plus précieux encore que les vases sacrés et autres richesses mobilières. Une des conséquences; de cet exode fut de propager, à grande distance le culte de plusieurs saints pré normands dont l’audience serait peut-être restée régionale. Le cas le plus extraordinaire fut sans doute celui du Cotentinais saint Marcoul, devenu à Corbény, non loin de Reims, saint dynastique. La dispersion au loin des châsses fut cruellement ressentie lors de la réorganisation religieuse du duché. Pas de culte possible sans reliques. Or la “récupération ” s'avéra très difficile. L'abbaye Saint-Ouen de Rouen eut la chance de se foire restituer, dès le Xe siècle, le corps de son saint patron, et cela explique certainement son importance comme lieu de pèlerinage au XIe siècle. Quelques corps saints avaient pourtant été "oubliés" in situ. Quelle aubaine de les retrouver après la tourmente. Ce fut le cas de saint Evroul dont le corps fut rependant volé par Hugues de France en 946 et emporté à Orléans. Les moines du Mont-Saint-Michel retrouvèrent le corps de saint Aubert vers 1012. Ceux de Saint-Wandrille, en 1026, le corps de saint Wulfran. dont la châsse parcourut le diocèse lors des grandes épidémies médiévales. On retrouva saint Contest à Bayeux, saint Sever au lieu qui porte son nom ; mais un commando venu de Rouen le transporta à la cathédrale métropolitaine. Les rapts de reliques furent choses courantes, masqués par de pieuses légendes, par exemple la châsse qui se fait trop lourde pour aller plus loin d'où l'origine du culte de saint Hildevert à Gournay-en-Bray. Et puis il y eut des supercheries : le pauvre évêque de Bayeux, Odon de Conteville, frère utérin du duc Guillaume, se vit attribuer par les gens de Corbeil, les restes mortels d`un paysan, alors qu'il attendait le corps de saint Exupère. L'évêque de Sées, plus heureux, réussit à se faire restituer les ossements de saint Latuin, son premier prédécesseur que conservait l’église d’Anet, mais cela seulement en ... 1970 !
Finalement on dut, un peu partout, se contenter de parcelles osseuses. Les corps saints, partis intacts au IXe siècle, furent véritablement dépecés. Les châsses firent place aux reliquaires. Notons que les premières statues en ronde-bosse furent presque toutes des reliquaires, telle celle de sainte Foy à Conques. Mais, grâce à cette fragmentation, devenue courante et universelle, la Normandie vit arriver des reliques de saints qui lui étaient totalement étrangers, et ce tut l'origine d'un mouvement d’importation qui allait se poursuivre tout au long des siècles. Ainsi s'implantèrent chez nous au XIe siècle les cultes de sainte Catherine, de sainte Barbe, de sainte Madeleine, de sainte Foy, de saint Valentin, de saint Blaise. C'est l'époque où les monastères commencèrent à se constituer leurs trésors de reliques, le Mont-Saint-Michel par exemple, comme l'indique Robert de Torigni. ”
In Guillaume le Conquérant et son temps - catalogue d’exposition – Art de basse-Normandie n°97 – Hiver 1987-1988.
“ Une des plus merveilleuses histoires d'alourdissement est celle des reliques de saint Sever. Elle est racontée dans le manuscrit de la Vie et de la Translation du saint, rédigé probablement au XIe siècle après la deuxième translation. On y lit que deux clercs de Rouen, pèlerins du Mont Saint-Michel, s'arrêtèrent à Saint-Sever où se trouvait le tombeau du saint. Ils voulurent s'emparer du corps, mais en furent empêchés par le gardien de l'église. A leur retour à Rouen, ils obtinrent du duc Richard Ier (943-996), par l'entremise de l'archevêque, le pouvoir de renouveler et (le réaliser leur projet. La résistance locale fut vaine. Le corps saint partit pour Rouen sous bonne escorte. La première étape fut un village à “ mille pas ” d'Evrecy, probablement Préaux, où l'on passa la nuit. Au matin la chasse se fit si lourde qu'on ne put la soulever de terre. On n'y parvint qu'après avoir promis au saint de lui élever une église en ce lieu : ce fut l'église Saint-Sever de Préaux. Le même prodige se renouvela à chaque étape et se reproduisit une dernière fois au faubourg d'Emendreville, sur la rive gauche de la Seine. L'archevêque accourut avec son clergé : il dut se rendre à l'évidence. Impossible de terminer la route. Alors lui aussi promit de bâtir en ce lieu une église dédiée au saint. Le faubourg d'Emendreville devint celui de Saint-Sever. Le cortège parvint ensuite sans difficulté à la cathédrale où il fut reçu dans l'allégresse. Ceci se passait, paraît-il, le 1er février 990 (selon. la Neustria Pia). ”
in Le culte populaire et l’iconographie des saints en Normandie - Etude générale - par le Dr Jean Fournée - Société Parisienne d’Histoire et d’Archéologie Normandes, N° spécial des cahiers Léopold Delisle, 1973.
“ Dans la forêt de Saint-sever (Calvados), la Croix Mérienne ne date que de 1858, mais elle a remplacé une croix plus ancienne qui, elle-même, avait remplacé un chêne dédié à saint Sever. La tradition voulait que ce chêne ait été le bâton planté dans le sol par le saint (cf. J.-P. Seguin, Légendes traditionnelles de la Normandie, pp. 8182). Nous sommes ici dans le groupe légendaire des bâtons qui fleurissent (saint Joseph, saint Christophe, etc ... ). ”
In Le culte populaire et l’iconographie des saints en Normandie - Etude générale - par Dr. Jean Fournée, Société Parisienne d’Histoire et d’Archéologie Normandes, n° spécial des cahiers Léopold Delisle 1973.
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SIMEON
Dix saints portent ce prénom.
SAINTE-HONORINE-DES-PERTES :
La tradition rapporte que les eaux de la fontaine Saint-Siméon à Sainte-Honorine guérissent de la fièvre.
"Les vies de saints nous présentent plusieurs saints du nom de Siméon. Le Siméon qui nous intéresse ici fut moine à Syracuse (Sicile), dans une communauté plongée dans une si extrême pauvreté que l'abbé le dépêcha près de l'évêque de Rouen qui entretenait des relations étroites avec des Normands installés en Sicile où ils avaient construit une cathédrale. Mais l'évêque refusa tout subside. Siméon repartit, physiquement délabré, les pieds en sang. Il les baigna dans une source qui, miraculeusement, le guérit. C'est du moins ainsi que nous le conte la légende. Ayant quitté la région, il se fit ermite et mourut dans un trou de rempart à Trèves (Germanie). (...) Dans le Calvados, saint Siméon est invoqué pour les maladies de peau à Sainte-Honorine-des-Pertes (canton de Trévières) où sa statue figure dans l'église."
in Les saints qui guérissent en Normandie d'Hippolyte Gancel, éditions Ouest France 1998.
“Sur le territoire de la paroisse de Sainte-Honorine-des-Pertes sont toujours visibles, non loin de la falaise qui surplombe la mer, les ruines de la chapelle Saint-Siméon, détruite lors du débarquement allié de 1944 ; située en contrebas, à flanc de falaise, la fontaine Saint-Siméon n'est plus accessible depuis 1960. L'édifice en ruine avait été construit au XIXe siècle en remplacement d'une chapelle remontant au XIIIe siècle et remplaçant, dit-on, un sanctuaire plus ancien, bâti plus près de la mer et ruiné par le recul de la falaise.
Jusqu'à la Deuxième guerre mondiale, les fidèles venaient à la chapelle implorer saint Siméon pour obtenir la guérison des "fièvres" : paludisme appelé "fièvre tremblante", fièvre de Malte, etc... Jusqu'en 1960, les malades allaient boire l'eau de la fontaine, ou encore leurs linges y étaient trempés ; on y baignait aussi les enfants rachitiques... Les demandes de messe ont continué de parvenir au presbytère de Sainte-Honorine jusqu'à nos jours bien qu'il n'y ait plus de curé depuis 1983 elles sont adressées de diverses localités du Bessin et du Saint-Lois.
La statue de saint Siméon dans l'église de Sainte-Honorine continue actuellement d'être l'objet de pratiques de pèlerinage. Elle représente le saint sous l'apparence d'un ermite. Or la statue de la chapelle détruite en 1944 était celle du Vieillard Siméon de la Présentation au Temple ! D'ailleurs, jusqu'en 1940, lors de la Petite Saint-Siméon, l'après-midi de la fête de l'Ascension, les gens venaient en procession à la chapelle (les diverses paroisses voisines, notamment de Port en Bessin, en chantant le Nunc dimittis, le psaume prophétique que l'Evangile de Luc met dans la bouche du Vieillard Siméon (Lc, 2, 29 à 32). A la Grande Saint-Siméon, qui coïncidait avec le dimanche de la Trinité, il y avait messe à la chapelle et "lecture" d'évangile "sur" les fidèles venus, celle fois, individuellement.
La différence des deux statues, celle de la chapelle et celle de l'église, a cependant de quoi troubler, lorsqu'on sait qu'il existe trois saints Siméon autres que le Vieillard Siméon, que tous les trois sont connus en Normandie et que deux d'entre eux ont été ermites ! Le troisième n'est autre que le deuxième évêque de Jérusalem ; il est patron de La Lande-Saint-Siméon dans l'Orne et sa fête tombe le 18 février. Quant aux ermites, Fun. dit Siméon de Trèves, aurait pratiqué l'érémitisme au Sinaï avant de venir en Normandie lit temps du duc Richard 11, donc dans le premier quart du XII siècle. Traversant le Passais, il y attrait conjuré une grave épizootie. Depuis ce temps, il est l'objet d'un culte populaire a Saint‑Siméon de Passais où une chapelle et une source portent son non) et où est conservée une relique de lui ; il est imploré pour la protection du bétail et pour que le temps soit favorable aux récoltes ; sa relique est particulièrement vénérée le 24 juin et les deux dimanches qui encadrent cette date, en un triple pèlerinage très fréquenté, annoncé dans les journaux locaux, dont la dernière journée petit même être présidée par l'évêque de Sées ‑comme ce fuit le cas en juin 1988, par exemple. Un demi-siècle auparavant, lors de l'épizootie de fièvre aphteuse de 1938, la relique du saint avait même été portée de ferme en ferme pour assurer la protection du bétail. Un saint ermite donc, oui... mais dans la statuaire ancienne de l'église on reconnait bien un saint ermite, mais aussi le vieillard Siméon !
C'est un autre saint ermite Siméon qui est vénéré sur la côte Est du Cotentin entre Portbail et Saint-Georges-la-Rivière : il s'agit de saint Siméon Stylite, le très fameux ermite syrien du IVe siècle. Parmi les épreuves qui l'atteignirent sur la colonne où il faisait pénitence, est mentionné un ulcère au pied. Ce qui explique sans doute que, dans sa chapelle près de Portbail, saint Siméon soit imploré pour la guérison d'affections de la peau : eczéma, verrues ; mais on l'y prie aussi contre la pluie et contre les vers blancs ravageurs de récoltes. Le nombre annuel de messes demandées est de 150. Il y a deux jours de pèlerinage : le 5 janvier, fête du saint, et le dimanche de Pentecôte. Le saint est bien représenté en stylite au revers du calvaire proche de la chapelle... mais dans l'église paroissiale de Saint-Georges-la-Rivière, on peut voir une statue du vieillard Siméon !
C'est ce dernier que l'on retrouve à Neuilly-la-Forêt, en Bessin, où il donne son nom à une fontaine dont l'eau était réputée guérir les maux d'yeux. A l'abandon depuis la deuxième guerre mondiale, semble-t-il, cette fontaine a été restaurée en 1990 par les bénévoles de l'Association pour l'histoire de Neuilly : le premier dimanche de juillet, elle a été inaugurée par une procession venue de l'église paroissiale et portant la statue du saint (Ouest-France, 6juillet 1990).
La similitude de nom a-t-elle contribué à fusionner des cultes différents ? ou bien l'Eglise a-t-elle cherché à mieux contrôler certaines dévotions populaires en superposant le Vieillard Siméon a ses homonymes ? Quoi qu'il en soit, il est à remarquer que la multiplicité et même la confusion entre saints de même nom ne constituent aucunement un obstacle au développement et au maintien du culte populaire. Ce dernier adjectif ne doit d’ailleurs pas tromper, on trouve le témoignage de ce type de dévotion jusque dans les milieux dirigeants de l’ancienne France. Ce qu’illustre le cas d’un saint natif de Bayeux : Marcouf.(…)
BIBLIOGRAPHIE
Fournée, Docteur Jean. ‑ Le culte populaire et l'iconographie des saints en Normandie. Etude Générale, Paris, Société Parisienne d'Histoire et d'Archéologie normandes, 1973.
Fournée, Docteur Jean. - Enquête sur le culte populaire de saint Martin en Normandie. Paris, Société Parisienne d'Histoire et &Archéologie normandes, 1963.
Sur saint Siméon
Duncombe, Catherine. ‑ Enquête sur le culte populaire de Saint‑Siméon à Sainte-Honorine-des-Pertes et sur les différents saints homonymes encore honorés en Basse-Normandie. Mémoire pour l'obtention du Diplôme d'Etudes Normandes, Université de Caen,1990.
Sur saint Clair
Henaff, A. - La dévotion à saint Clair en la paroisse de Saint-Clair-sur-Elle au XIXe et XXe siècles. Mémoire pour l'obtention du Diplôme d'Etudes Normandes, Université de Caen, 1988.
Sur saint Marcouf
Fournée, Docteur Jean. - Deux Saxons de Bayeux : saint Evroul et saint Marcoul, Cahiers Léopold Delisle, XVII, fasc. 3‑4, 21 semestre 1968, p. 37-54.
Sur l'affaire de la fontaine Saint‑Marcouf
Voir- la note d'Arcisse de Caumont dans l'Annuaire... de l'ancienne Normandie, XXVII, 186 1, p. 442-445”.
In 30e volume de la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux : extrait de l’article “le culte populaire des saints dans le Bessin” par J.J. Bertaux.
“ Chapelle Saint-Siméon, XIVe et vers 1850 en calcaire, chemin des Poissoniers : Située près de la mer, au milieu de la verdure, cette ancienne chapelle dotée d'un campanile est mentionnée dans le Livre Pelut sous la dénomination de “ capella sancti Simeones ”. Reconstruite au XIXe siècle, elle est partiellement détruite en 1944. Il s'agissait autrefois d'un lieu de pèlerinage très fréquenté. Un sentier conduit à la fontaine puis aux falaises d'où coulent des eaux calcaires et pétrifiantes censées guérir certaines affections, dont la fièvre tremblante. ”
in Le Patrimoine des Communes du Calvados, Flohic éditions 2001.
« CHAPELLE SAINT SIMEON
D'après le livre rouge de Bayeux, en 1261, le roi Louis IX apprit qu'une chapelle de Saint-Siméon, située dans la paroisse de Pertes-sur-Mer, au diocèse de Bayeux, avait été détruite par les ravages de la mer et que le chanoine Jean Le Gendre la reconstruisait dans un autre endroit de la montagne près de la mer, sur une pièce de la terre qu'il avait achetée au Roi. De passage à Rouen, Louis IX approuva cet achat et, — écrivait-il — " par amour de Dieu, et pour l'honneur se Saint-Siméon, nous voulons accorder que le même Jean puisse achever de construire cette chapelle dans le lieu dit, sauf notre droit et celui des autres en toutes choses". Ces derniers mots attestent le respect de Saint Louis pour le droit d'autrui comme pour celui de sa couronne.
Bien que construite à l'âge d'or de l'architecture, cette chapelle était encore destinée à disparaître. Cela valut aux sires de Grand-Val l'honneur de la fonder à nouveau. On en trouve mention dans les aveux rendus au Roi par ses seigneurs.
En retour de leurs frais de construction et d'entretien, ceux-ci avaient le droit de prélever sur l'autel de Saint Siméon, le jour de la fête annuelle, quatre deniers d'offrande et une havée de cire, soit autant de cierge que le seigneur pouvait en tenir dans sa main (en avoir, en haver du verbe Latin habere, signifiant avoir).
Le 11 mai 1620, fête de la Trinité, à l'assemblée traditionnelle, Guillaume Piquod, seigneur de Grand-Val, perçut la havée de cire et les quatre deniers. Le 30 septembre 1728, une déclaration du curé Maizerel reconnut le même droit, lequel fut de nouveau mentionné, le 12 juillet 1786, dans un écrit conservé aux archives du Calvados.
SAINT SIMÉON ET LES FIÈVRES
Au bien de l'humanité souffrante devait contribuer le culte de Saint Siméon à Sainte Honorine — comme d'ailleurs celui de Saint Gerbold à Englesqueville et celui de Saint Roch à Isigny. Remarquons d'abord qu'en ces trois paroisses les chapelles bâties à une grande distance des églises paroissiales facilitaient l'assistance à la messe et la réception des sacrements aux personnes qui en étaient éloignées. De plus, rappelons que Dieu a donné aux Saints le pouvoir de guérir certaines maladies ; s'ils le faisaient alors qu'ils partageraient ici-bas l'infirmité humaine, à plus forte raison depuis que leurs âmes sont au ciel obtiennent-elles du Tout-Puissant la faveur de rétablir les santés spirituelles et corporelles si souvent altérées en conséquence de la chute originelle.
On sait que, dans notre humide Bessin, surtout avant la bonne tenue de la vallée d'Aure et au temps où l'on mettait le chanvre à rouir en des mares stagnantes, certains moustiques dont les œufs éclosent à la surface des eaux mortes, amenaient et propageaient jadis les fièvres dites tremblantes et intermittentes. On les appelait intermittentes à cause de leur alternance : la fièvre quotidienne revenait à peu près à la même heure chaque jour, la tierce deux fois en trois jours, la quarte laissait deux jours libres... Il y avait aussi la fièvre tierce doublée dont les accès étaient alternativement inégaux, la fièvre triple-quarte ayant deux accès faible et un fort, etc...
Ces fièvres étaient dites tremblantes, parce qu'elles commençaient par un frisson survenant brusquement et durant d'une demi-heure à une heure, frisson suivi d'une chaleur devenant de plus en plus vive et persistant de 6 à 12 heures.
Les fièvres abrégeaient la vie humaine, celle des hommes principalement, d'après ces lignes qu'écrivait Georges Villers dans une étude sur la baie des Veys : " Isigny, Saint-Clément et Fontenay, communes bordant les Veys, sur une population de 2612 habitants, ne comptaient en 1850 que 17 hommes au-dessus de 70 ans, et que 2 octogénaires ; tandis que d'après la proportion moyenne pour tout l'arrondissement il devraient y avoir 62 individus au-dessus de 70 ans et 10 de 80 ans et au dessus. La mortalité dans les mêmes communes est, depuis 20 ans (de 1837 à 1857), de 1 décès par 37 habitants, alors que la moyenne pour les communes rurales est de 1 décès pour 51 habitants". Annuaire normand pour 1858, page 523.
Très anciennement victimes des fièvres tremblantes, les habitants de Sainte-Honorine et de nos régions marécageuses en furent notoirement délivrés par l'intercession se Saint Siméon. Cet homme de Dieu peut être le même que le patron de la paroisse Saint Siméon, dans l'Orne, où se trouvait jadis un prieuré dépendant du Plessis-Grimoult dans le Calvados. En 1862, le curé de Saint-Siméon écrit que six mille pèlerins viennent annuellement à son église et qu'on voit à quelque distance de son petit bourg " une fontaine à laquelle plusieurs vont puiser de l'eau par dévotion. Selon la croyance de ces personnes, cette eau guérît de la fièvre... " Nous extrayons ces lignes de la Notice sur Saint Siméon, solitaire dans la Passais, insérée dans les Vies des Saints du diocèse de Séez, par Blin, curé de Durcet, tome II, page 244, imprimée à Laigle en 1873.
Le culte de Saint Siméon est très répandu dans les doyennes de Passais, de Le Teilleul et de Landivy, comme dans ceux de Trévières, Isigny, Ryes, Bayeux et Balleroy.
ASSEMBLÉE SAINT SIMÉON
A Sainte Honorine il y avait, et il y a encore, deux jours d'assemblée et de pèlerinage à la chapelle Saint Siméon. le premier s'appelle la petite Saint Siméon et voyait naguère toutes les paroisses sises entre Vierville, Mosles et Commes venir processionnellement en chantant les vêpres l'après-midi de l'Ascension ; le deuxième jour, ou grande Saint Siméon, amène des visiteurs de fort loin. Il y a Messe des Vêpres à la chapelle rebâtie vers 1850 dans le second herbage, plus favorable au recueillement que le premier contenant la cave (destinée à loger les tonneaux de cidres débités à l'assemblée des étalages des marchands forains où l'on trouve les objets utiles à l'alimentation (charcuterie, coquillages, fruits...) à l'habillement et au luxe).
Toutefois, au milieu des touristes, simples spectateurs, un très grand nombre de vrais chrétiens venaient et plusieurs viennent encore témoigner leur reconnaissance à Saint Siméon pour des guérisons que la quinine n'avait pu réaliser. Que de messes ont été et sont demandées en l'honneur de ce Saint, que de cierges, d’Évangiles récités avec l'invocation : Saint Siméon, priez pour nous ! Après les longues stations dans la chapelle, on se dirige par un sentier (que nous avons trouvé plutôt pénible, il y a 60 ans), vers la fontaine d'un accès très difficile. Aussi, moyennant dix centimes, un employé de la ferme, dite de Saint Siméon, va puiser un peu de l'eau merveilleuse que chacun boit avec respect. Cette eau est mentionnée dans le dictionnaire historique et géographique de l'abbé Béziers (tome II, page 318) écrit vers 1765 et conservé au château de Vaussieu. Il y est dit que " la chapelle Saint Siméon, située sur le bord de la mer, au couchant de l'église paroissiale, est renommée par le grand nombre de pèlerins qui y viennent de fort loin et plus encore par sa fontaine d'eau vive part du haut d'un rocher et qu'on assure avoir la vertu de pétiller....
LES CHAPELAINS DE SAINT SIMEON
Primitivement, les chapelains de Saint Siméon étaient choisis par l’évêque de Bayeux, d’après les recherches de M. de Laheudrie. Toutefois, en 1418, le roi anglais Henry V, devenu maître de la Normandie, s’arrogea ce droit de patronage. A XVIII siècle, il appartenait à la Sainte-Chapelle de Paris, ainsi que nous le verrons. Grâce à l’obligeant archiviste, M. le Chanoine Le Mâle, voici le texte de la prise de possession du chapelain qui remplaça M. Godefroy Le Maizerel décédé.
« L’an 1732, le jeudi, dixième jour de janvier, à la requête de M. Louis Brunet, prêtre du diocèse de Bayeux, et en vertu tant des provisions de la Cour de Rome, lui donnant la chapelle ou chapellenie de Saint-Siméon scise dans la paroisse de Sainte-Honorine-sur-Mer, au dit diocèse de Bayeux, accordées au dit sieur Brunet par N.S.P. le Pape, vacante par la mort de M. Godefroy Le Maizerel, prêtre, dernier titulaire d’icelle chapelle, dûment signées, scellées, vérifiées et insinuées, que des lettres de visa délivrées au dit sieur Brunet par …Mgr Paul d’Albert de Luynes, évêque de Bayeux, les dites lettres en date du 29 décembre dernier… Nous, Robert Tostain, notaire royal et apostolique en ville et diocèse de Bayeux, résidant paroisse Saint-Loup-sur…, soussigné, nous sommes transporté avec le dit sieur Brunet, Denis Le Cerf, bourgeois de Saint-Loup-sur-Bayeux et François Langlois, de la paroisse de Ranchy, au presbytère du sieur Malouin, curé de Sainte-Honorine, auquel nous avons demandé la clef de la porte de la dite chapelle… lequel curé nous a répondu qu’il n’est point saisy de la dite clef et qu’il va nous accompagner à aller à la dite chapelle…. et sur le chemin avons entré avec le dit sieur Brunet et le dit sieur Le Cerf dans la maison de Thomas Poitevin, dépositaire ordinaire de la clef. En laquelle maison nous avons trouvé Marie Le Goupil, femme du dit Thomas Poitevin, laquelle nous a dit et déclaré que le sieur curé prit le jour du samedy dernier la dite clef pour célébrer la messe dans la dite chapelle et que le sieur curé ne la pas remise. Vu quoy, nous avons continué à aller à la dite chapelle et y étant parvenus, avons en la présence des dessus dits et autres témoins… mis et installé le dit sieur Brunet ainsi pourvu, présent en personne et ce requérant, en la possession réelle et actuelle de la dite chapelle se Saint-Siméon, ensemble des droits, fruits, profits, revenus et émoluments, appartenant à cette chapelle, tels et semblables qu’en a joui et dû jouir le dit feu sieur Maizerel, dernier titulaire, par le toucher de la grande porte de la dite chapelle et toucher des murs d’icelle, à laquelle prise de possession lue et publiée à haute et intelligible voix par nous dit notaire personne ne s’est opposé, et a le dit sieur Brunet signé le formulaire (contre les erreurs jansénistes) ainsi qu’il appert par les dites lettres du visa ; et nous avons fait ostension et exhibition des dites pièces remises au dit sieur Brunet, dont et de tout ce que dessus dit sieur Brunet nous a requis acte, à lui octroyé pour luy valoir et servir ainsi que de raison. Fait et passé en la dite paroisse se Saint-Honorine à la porte de la dite chapelle, présence du sieur Malouin, curé, de Le Cerf, Langlois, Jean Picot et Louis Beziel de la paroisse de Sainte-Honorine et y demeurant…
Contrôlé à Bayeux, le 11 janvier 1732, reçu livres par Belley. Signé : Tostain, avec paraphe et scellé. Insinué (enregistré) le 14 janvier au dit an. Payé 3 livres. » En cet acte on reconnait plusieurs noms du pays et Béziers dans Beziel.
Louis-Claude Brunet permuta sa chapellenie contre le cure de Ranchy avec Nicolas Le Roy, curé de Ranchy. En effet, « par devant Robert Tostain, notaire à Bayeux, le 21 janvier 1735, furent présents Nicolas Le Roy, prestre curé de la paroisse Notre-Dame de Ranchy et paisible possesseur de la dite cure, malade de corps, toutefois sain d’esprit et d’entendement, ainsi qu’il nous est apparu et aux témoins… étant de présent en cette ville de Bayeux en la maison de Mr Emery Le Vanier, avocat bailliage et vicomté de Bayeux, (maison) scise paroisse se Saint-Paroisse, — et Mr Louis-Claude Brunet prêtre chapelain de Saint-Siméon étant aussi en cette maison — lesquels ont respectivement par ces présentes remis et résigné purement et simplement… » entre les mains de Mgr l’Evesque de Bayeux le dit Le Roy sa cure de Ranchy en faveur du dit Brunet et celui-ci sa chapelle Saint-Siméon au profit du dit Le Roy… affirmant les dits sieurs copermutant qu’en la présent permutation il n’est intervenu et n’interviendra aucun vol, fraude, symonie n’y autres pactions contraires aux dispositions canoniques.
Fait à Bayeux en une des chambres de la maison, en présence de Mr Richard Le Paulmier, praticien, bourgeois de Bayeux et de François de Patry, écuyer, demeurant au dit Bayeux, paroisse Saint-Ouen-du-Château. »
Le 4 juin Nicolas Le Roy constituait Mr Jacques Fontaine, vicaire de Saint-Patrice, son procureur général et spécial, et lui donnait pouvoir de « pour lui et en son nom prendre possession réelle, actuelle et corporelle de la chapelle de Saint-Siméon, ce qui eut lieu le même jour « sur les 7 heures du soir, par la libre entrée en la dite chapelle, touché et baiser de l’autel, touché du missel, son d’une petite cloche et autres cérémonies, présence de M. Joseph Enault, prêtre, demeurant à Colleville-sur-Mer, Robert Féron, prêtre de Saint-Patrice, Thomas Chardin de Saonnet et Louis Beziers, couvreur de Sainte-Honorine, lesquels signent avec le notaire.
Le 1er juin 1743, le trésorier et chanoines de la Sainte-Chapelle du Palais royal de Paris présentaient à l’évêque de Bayeux, M. Jean-Baptiste Bourdon, originaire de Caen, reçu docteur en théologie le 10 février 1723 et curé d’Etreham depuis 1728, comme apte et capable d’être pourvu de la chapelle de Saint-Siméon.
Le 6 juin, M. Moussard, vicaire général de Mgr de Luynes, évêque de Bayeux, conférait, au nom du prélat, cette chapelle à M. Bourdon qui prenait possession l’après-midi par le ministère de Michel-François Duhamel, notaire à Bayeux, s’étant transporté exprès avec le dit sieur Bourdon en la dite chapelle de Saint-Siméon, paroisse de Sainte-Honorine, en la présence de M. Philippe Le Bret, agent M. le marquis d’Etreham, brigadier des armées du Roy ;de M Pierre Maistrel, marchand bourgeois de Bayeux, paroisse Saint-Martin ; Michel Cousin, laboureur, et Jean de Montégu, tous deux demeurant à Etreham ; Jean Anne et Jacques Poitevin, journaliers à Sainte-Honorine, et plusieurs autres à ce témoins requis et appelés. Acte contrôlé à Bayeux le 7 juin ; reçu 6 livres, etc.
Le nouveau chapelain de Saint-Siméon possédait un savoir-faire et une activité lui permettant de remplir ces modestes fonctions sans négliger sa charge pastoral d’Etreham ; au besoin, il était aidé et suppléé par son homonyme, M. Jacques Bourdon, directeur des Nouvelles converties, à Caen ; par l’abbé François Tovet, chapelain du château de Vaulaville ; puis par un jeune prêtre qu’il avait conduit à l’autel (Michel Dubosq). Le docteur en théologie Jean-Baptiste Bourdon était un écrivain habile et éloquent si l’on en juge par une longue lettre adressé à Mgr de Luynes au sujet du jansénisme et conservée dans les archives d’une famille de La Cambe, jadis alliée à celle des Bourdon, de Verson. Patriote, il invitait l’abbé de Graville, chancelier de la cathédrale, à bénir dans l’église d’Etreham les trois drapeaux donnés au détachement de la capitainerie de Port-en-Bessin par le commandant marquis Jacques de Hérissy (13 mai 1745). Zélé et généreux, il contribuait pour plus de cent livres à la réfection de la couverture de l’église et dotait la jolie tour d’une seconde cloche qui eut pour marraine Jacqueline de Hérissy, épouse du seigneur de l’If en Vouilly. Il avait préparé le retour au catholicisme de la mère de Jacqueline et il avait célébré son service funèbre 3 jours après l’inhumation faite en l’église Saint-Sulpice, à Paris, le 12 janvier 1747. Mais alors l’abbé J.B. Bourdon avait cessé de desservir la chapelle de Saint-Siméon. Celle-ci eut pour chapelain, pendant vingt ans, M. Louis Le Blanc qui, en 1764, résigna sa charge en faveur d’un diacre de l’archidiocèse de Rouen, M. Richard-François de Varengue. Mais il fallut demander au Pape son approbation, laquelle fut « donné à Rome, près de Sainte-Marie-Majeure, le 3 des ides de juin 1764 ». Son successeur, M. de Varengue, fut investi de ses fonctions par l’évêque de Bayeux, Mgr de Rochechouart, le 26 mars 1765, en présence de M. Jean-Baptiste Le Hériché, prêtre de Saint-Sauveur de Bayeux, et de M. Jean-Pierre Duchemin, prêtre de Saint-Martin.
La révolution supprima le poste de chapelain et voulut abattre la chapelle qui se trouvait alors près de la mer, là ou l’on voyait encore naguère un pan de mur.
On raconte que pour anéantir le culte de Saint-Siméon, deux citoyens mirent le ciel au défi de les obliger de recourir au « vieux guérisseurs ». A peine avaient-ils fini de parler, qu’en présence de leurs interlocuteurs, ils commencèrent à trembler et à pâlir. Après quelques jours d’une fièvre que le médecin du lieu ne put couper, les deux patients firent amende honorable et vinrent à la chapelle où ils furent guéris.
Le dix-neuvième siècle vit construire l’oratoire actuel par la famille Poitevin, propriétaire de la ferme du Grand-Hameau, maintenant dite Saint-Siméon. En mourant, le 18 avril 1897, M. Jacques Poidevin-Couvert transmettait ce domaine à sa veuve, Julie-Mathilde Poitevin et à leurs trois filles, Mmes Eugène Lalouel, Jules Lesoudier, Henri Jacob (celle-ci défunte et représentée par sa fille Marie, dame Asselvander). Au lendemain de la mort de leur mère (octobre 1918), ces dames cédèrent le domaine de Saint-Siméon à MM. Pierre et Jean Dupont, d’Isigny. Ainsi devenus propriétaires de la chapelle, ces messieurs l’ont rajeunie en obtenant de Mgr l’Evêque de Bayeux l’autorisation d’y faire suppléer les cérémonies baptismales de Rodolphe-Jean-Maurice-Emile Dupont (11 septembre 1920), par M. l’abbé Gallot, curé de Sainte-Honorine, et de Paulette-Véronique Dupont (16 mai 1921), par le chanoine Auguste, doyen d’Isigny, sur l’invitation de M. le curé de Sainte-Honorine.
Chapelain se Saint-Siméon, en même temps que le curé de Sainte-Honorine, M. l’abbé Gallot reçoit fréquemment des demandes de messes pour des malades que la fièvre ne tarde pas à quitter. Des guérisons instantanées ont lieu, notamment à Arromanches et Moon-sur-Elle (Manche), il y a peu d’années. »
NEUILLY-LA-FORÊT :
"Culte aussi à Neuilly-la-Forêt (canton d'Isigny-sur-Mer) où une fontaine guérisseuse produit une eau censée venir à bout des verrues et des maladies des yeux."
in Les saints qui guérissent en Normandie d'Hippolyte Gancel, éditions Ouest France 1998.
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SPACE
“Saint Space (10 novembre) : La vie de saint Space est très obscure. Robert Céneau, évêque d'Avranches, dont l'Histoire de la Gaule parut en 1557, nous a laissé seulement trois lignes sur la biographie de ce saint. Du Saussay en son Martyrologe Gallican a copié son prédécesseur en l'amplifiant. Hermant, notre historien diocésain, a développé les données de ses prédécesseurs. Il est vrai qu'à défaut de documents certains, il connaissait les traditions. Il invoque le témoignage de Sébastien Rouillard, en son Histoire de la Ville de Melun, éditée en 1628. Ce dernier semblait craindre que le publie ne confonde saint Aspais, patron de Melun, dont la fête tombe le 2 janvier, avec notre saint Space, inhumé aux Andelys et fêté le 10 novembre. Suivant la tradition, Space naquit hors des murs de la ville de Bayeux, au faubourg Saint-Patrice, devant le marché, dans la maison dite des Poitevins. Ses parents le firent instruire dans la religion chrétienne et il se prépara au sacerdoce. Il se dirigea vers le diocèse de Rouen, soit pour recevoir les ordres sacrés - Bayeux était peut-être privé d'évêque - soit pour exhorter les chrétiens de cette région qui subissaient une violente persécution. Au cours de ses pérégrinations, il fut découvert par les soldats de l'Empereur aux Andelys. Ni les menaces, ni les promesses n'ébranlèrent sa foi : il subit le martyre avec ses compagnons vers l'an 363. A l'oratoire élevé sur son tombeau, succéda d'abord un monastère bâti par sainte Clotilde, puis après sa destruction par les Normands, une collégiale du titre de Notre-Dame, fondée au XIIe siècle. Il ne reste qu'un vague souvenir de ces faits. Hermant raconte qu'il existait dans le chœur et la nef de l'église, de petites cloches nommées les “petits saints”, en mémoire des saints martyrs inhumés en ce lieu. Il ignorait que jadis les cloches se nommaient signa, d'où tocsin, puis saints, et les fondeurs de cloches, saintiers. Le même auteur ajoute qu'en 1682, les chanoines d'Andely, creusant en ce lieu, trouvèrent les tombeaux vides. Sans doute, les reliques avaient été enlevées au temps des invasions normandes, ce qui expliquerait la présence, à la cathédrale de Bayeux, d'un pied et d'un bras de saint Space. En 1562, les Protestants saccagèrent Bayeux et pillèrent les reliques. Un bourgeois de la paroisse Saint-Symphorien, nommé Sénot, acheta ces ossements à celui qui les avait dérobés. Pendant les sécheresses ou les pluies abondantes, il portait secrètement autour de ses champs le précieux trésor caché sous son manteau et il en avait éprouvé l'efficacité. Protestant, ainsi que son père, le fils de cet homme se convertit et restitua les ossements à la cathédrale, où ils sont encore vénérés aujourd'hui, ainsi qu'à l'Hôtel-Dieu de cette ville. Pour conclure, le culte de ce saint est très ancien et n'a jamais été interrompu dans notre diocèse. Le Bréviaire Bayeusain de 1425, conservé à la Bibliothèque Nationale (fonds latin n° 1298), mentionne saint Space au 10 novembre. ”
in Cinquante Saints Normands, étude historique et archéologique de Frédéric Alix ; Société d’Impression de Basse-Normandie, Caen 1933.
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SULPICE
Evêque de Bayeux (IXème siècle). Massacré à Livry en 844 par les normands.
BAYEUX :
"Vers 840-844. Né à Livry où il fut tué par les Danois et inhumé au Val-Saint."
in Monographie d'un canton type : Canton de Bayeux par E. Michel (1911), Office d'édition & de diffusion du livre d'histoire 1994.
LIVRY :
"En 845, d'après la tradition, les Scandinaves surprirent à Livry, où, sans doute, il avait cherché une retraite, l'évêque de Bayeux, Sulpice, et le massacrèrent. Pour les soustraire à la profanation, prêtres et religieux effarés, transportèrent au loin les reliques de leurs saints, les ossements de leurs évêques. Ainsi, dès 846 ou au début de 847, les corps de saint Regnobert et de son diacre Zénon étaient enlevés de l'église abandonnée de Saint-Exupère à Bayeux et portés à Saint-Victor-d'Epines dans le département de l'Eure. Vers 863, les ossements de saint Exupère étaient portés près de Corbeil, ceux de saint Loup au monastère de Cormery en Touraine. Les corps de saint Révérend, de saint Regnobert furent, vers la fin du IXe siècle, transférés de Saint-Victor-d'Epines jusqu'en Bourgogne. Les paroisses demeurèrent sans prêtes ; ce fut l'anarchie complète, dans le pays affamé où tout sentiment moral disparut : diplômes, chroniques, textes hagiographiques furent anéantis. Quelques manuscrits pourtant furent sauvés et il nous en reste un, de l'époque, provenant de l'abbaye de Deux-Jumeaux. Tandis que des bandes de forbans scandinaves infestaient les côtes, depuis le Rhin jusqu'à la Loire, d'autres contingents débarquaient sans cesse sur nos rivages, attirés sans doute par les merveilleux récits de leurs devanciers rentrant au pays, gorgés de richesses. Dans une de leurs expéditions ils poussèrent une pointe sur Bayeux, prirent et saccagèrent la ville. Son évêque Batfridus, ou Walfridus, que M. Prentout appelle Beaufroi, fut égorgé (858)."
in Histoire du Bessin par E. de Laheudrie (1930).
"Ce saint pose un problème d'identification. Pour ce qui intéresse la Normandie, nous pourrions être en présence de deux saints Sulpice. Celui que l'on prie dans le Calvados à Livry (canton de Caumont-I'Eventé) serait né dans la cité aurait été évêque de Bayeux dans la première moitié du IXe siècle et massacré en 844. Après sa mort, il aurait guéri les enfants malades. A Livry, le culte est demeuré très vivant. La statue du saint reçoit de nombreux visiteurs qui prient, allument des cierges ou des veilleuses votives. Une fontaine Saint-Sulpice, fléchée, se trouve sur un petit chemin proche de l'église, exactement au "Val Saint". L'oratoire renferme un autel que garnissent les linges laissés par les pèlerins venus pour la guérison de leurs maladies de peau (de diverses formes d'eczéma infantile surtout). Prière spéciale, bougies votives, cierges, images, médailles sont à leur disposition. La chapelle est fermée, mais la clé est obtenue sur place. Un pèlerinage y a lieu le lundi de Pentecôte."
in Les saints qui guérissent en Normandie d'Hippolyte Gancel, éditions Ouest France 1998.
“Saint Sulpice (4 septembre) : Le récit de la mort de saint Sulpice et celui de la translation de ses reliques peuvent seuls nous documenter sur cet évêque de Bayeux. La tradition le fait naître à Livry au début du IXe siècle. Saint Gerbold y avait en 670 fondé un monastère d'hommes, que nous trouvons plus tard mentionné au nombre des possessions de l'abbaye bénédictine de Fontenelle ou Saint-Wandrille, au diocèse de Rouen. Ce fut sans doute là que le jeune Sulpice reçut son instruction et son éducation. Regnobert, évêque de Bayeux, étant venu à mourir vers 840, il fut appelé à lui succéder. C'était alors l'époque des invasions normandes. En 844 ou 845. les pirates ravagèrent la région, ruinèrent le monastère de Deux-Jumeaux et s’avancèrent jusqu'à Livry. L'évêque Sulpice, qui y séjournait, voulut s'opposer à leur fureur, mais il fut massacré sans pitié : le monastère fut pillé et livré aux flammes. Après le départ des envahisseurs, les chrétiens qui avaient fui, reviennent et retrouvent le corps de leur pontife au milieu des ruines fumantes. Ils lui creusent un tombeau près d'une fontaine voisine qui depuis a pris son nom. Au-dessus de sa tombe, ils élèvent un oratoire qui bientôt devint célèbre par les miracles qui s'y accomplissaient, si bien que le lieu prit le nom de Val Saint. En 986 Simon, abbé du monastère de la Celle Saint Ghislain, près Mons-en-Haynaut, se rendant au Mont Saint-Michel, fit étape à Livry. Il y remarqua trois chapelles dont l'une abritait le corps du martyr. De retour il prend avec lui quelques compagnons et vient demander l'hospitalité au Val Saint. Il enivre le gardien et pendant la nuit dérobe les reliques et les emporte dans son abbaye. Elles y furent longtemps honorées dans un tombeau sur lequel était cette inscription “Ici repose Saint Sulpice, évêque de Bayeux.” Cependant la chapelle de Livry continuait d'être fréquentée par les pèlerins. Au XIIe siècle, l'abbé de Saint-Wandrille fit remise à Robert, abbé d'Ardenne, de la portion du bois de Livry, située entre le vieux fossé et le chemin de Saint-Germain-d'Ectot à Thorigny, avec la chapelle et le cimetière adjacent. L'oratoire et son ermitage sont mentionnés en 1432. Nous lisons dans l'obituaire d'Ardenne au 5 mai : Toussaint de Vaux, prieur de Saint-Contest et de Saint-Sulpice. (il avait succédé à Ursin Penon en 1556) ; au 21 mai : François Osmon prieur de Saint. Sulpice et de Lébisey (à Hérouville). Jean Honorey, chapelain, signe en 1613 et 1630. Détruite par les protestants en 1662, la chapelle fut réédifiée en 1578 et restaurée en 1656. Edouard Booth, abbé d'Ardenne, fieffa en 1776 à Louis Armand Lehoux, d'Amayé, les biens de la chapelle, qui comprenaient, outre l'oratoire, 20 acres de labour, divers bâtiments et du bois. Vendu comme bien national en 1794 et démoli, le sanctuaire fut rebâti en 1805, acheté en 1865 par Monseigneur Didiot, reconstruit et érigé en chapelle de secours par Mgr Hugonin. En 1655, frère Artus du Monstier, auteur du Neustria Pia, écrivit à Robert du Hamel, sous-prieur d'Ardenne, pour lui demander des renseignements sur la chapelle. Celui-ci lui répondit : “Cette chapelle est très célèbre par l'affluence des pèlerins qui viennent y demander la guérison, notamment des maladies de la peau”. Le P. Hilaire Pinet, du monastère de Saint-Vigor près Bayeux, obtint en 1662 une partie notable des reliques de saint Sulpice. La fête du saint figure au 27 août dans les vieux missels bayeusains, jour où elle était célébrée dans l'église Saint-Sulpice, qui lui était dédiée et qui relevait du prieuré de Saint-Vigor. Elle figure dans l'Ordo au 4 septembre. Des pèlerins se rendent le 17 janvier et le 1er dimanche de septembre à Maisoncelles-sur-Ajon à cause d'une fontaine dédiée à saint Sulpice, qui est second patron de la paroisse. ”
in Cinquante Saints Normands, étude historique et archéologique de Frédéric Alix ; Société d’Impression de Basse-Normandie, Caen 1933.
“ Statue de saint Sulpice dans l’église Notre-Dame de Livry : Le saint est représenté barbu, avec la mitre et la crosse de la fonction épiscopale. Selon les traditions, il exerce cette charge à Bourges ou à Bayeux. Une tradition locale le fait natif de Livry. Il y fait construire un ermitage, le Val saint, où il aime à se retirer. Bien que ne figurant pas au calendrier liturgique, il est très vénéré et les malades viennent nombreux à la chapelle et à la fontaine pour implorer son intercession. Jusqu’en 1999, le pèlerinage du lundi de Pentecôte attire beaucoup de monde. ” (…)
“ Chapelle Saint-Sulpice : Selon la tradition, la chapelle est édifiée sur le lieu du martyr de saint Sulpice par les Danois, au milieu du IXème siècle. Ses reliques y demeurent avant d’être enlevées par Simon, abbé du Hainaut. Jean sans Terre donne la chapelle aux chanoines prémontrés de l’abbaye d’Ardennes. En 1349, la donation est entérinée par le roi de France Philippe V . la chapelle possède en outre une ferme et des terres. On y fait des pèlerinages pour guérir les maladies de la peau. Saint Sulpice est longtemps célébré le 27 août. Une statue de jeune fille, trouvée à proximité de la chapelle, figure sur le mur d’entrée. Détruite en 1794, la chapelle est reconstruite en 1891. ” (…)
“ Ancien saint Sulpice et ex-voto dans la chapelle Saint-Sulpice : Faute de preuve de son existence, saint Sulpice ne figure pas dans le calendrier liturgique. Au XIXe et XXe siècles cependant, il est l’objet d’un culte fervent de la part des personnes atteintes de maladies de peau et les pèlerinages, notamment celui du lundi de Pentecôte, ne cessent. Les ex-voto le prouvent ainsi que les deux vitraux du chœur datés d’avant 1939, don de Mme Aubin de Bayeux, âgée de 70 ans en l’an 2000 qui, muette jusqu’à l’âge de trois ans, retrouve la parole en partant de la chapelle. ”
in Le Patrimoine des communes du Calvados, tome 1, Flohic Editions 2001.
SAINT-VIGOR-LE-GRAND :
“ Église Saint-Sulpice, du XIe au XIXe siècle, calcaire : Traditionnellement, cette église est dénommée Saint-Supli. Bien que la paroisse ait été rattachée à celle de Saint-Vigor dès l'an XI, le culte continue d'y être célébré une fois l'an, le premier dimanche de septembre. Ce fut un lieu de pèlerinage, doté d'une fontaine censée guérir de la fièvre et du mal de dents. L’église est composée d'une nef romane appareillée en opus spicatum du XIe siècle et d'un choeur gothique du XIIIe siècle. Elle se termine à l'est par un chevet plat au pignon décoré d'un clocher peigne à deux baies du XVIe siècle. ”
in Le Patrimoine des communes du Calvados, tome 1, Flohic Editions 2001.
“ Dans le Calvados, entre autres, une fontaine Saint‑Sulpice est maintenue à Secqueville‑en-Bessin (canton de Creully). Une église est placée sous le vocable du saint à Saint‑Vigor-le‑Grand (canton de Bayeux) sur l'ancienne paroisse de Saint-Sulpice où la tradition attribue à l'eau d'une fontaine une action bénéfique sur les maux de dents et les fièvres. Une fontaine très visitée existe à Livry (canton de Caumont-l'Eventé) où les demandes sont nombreuses. ”
in Les saints qui guérissent en Normandie, tome 2, d'Hippolyte Gancel, éditions Ouest France 2003.
SECQUEVILLE-EN-BESSIN :
“ Fontaine Saint-Sulpice du XIIIème siècle en calcaire de Creully, chemin Saint-Sulpice : cette fontaine était réputée pour guérir une affection des yeux ou peut-être la maladie de la croûte de lait, qui atteint le cuir chevelu des nourrissons. Taxé de superstition, le pèlerinage est interdit et l’endroit est muré en 1778. Cependant, l’eau de la source étant précieuse aux yeux des fidèles, ceux-ci creusent un mur afin de continuer à soigner leurs maux. ”
in Le Patrimoine des Communes du Calvados, Flohic Editions 2001.
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SULPICE
Evêque de Bourges (né à la fin VIème siècle). Batisseur d'églises et de monastères, faiseur de miracles ; mort le 17 janvier 647 ; Fête le 17 janvier.
MAISONCELLES-SUR-AJONC :
"On vient en pèlerinage à Maisoncelles le 17 janvier et le 1er dimanche de septembre, à cause d'une fontaine qui est près de l'église et qu'on appelle fontaine St.-Sulpice."
in Statistique Monumentale du Calvados d'A. de Caumont (1874).
"Le saint Sulpice généralement prié ailleurs serait le saint Sulpice de Bourges. Ce Sulpice naquit dans le Berry à la fin du VIe siècle d'une famille noble. Il bâtit des monastères, des églises, fut élevé à la dignité épiscopale et se dévoua pour les pauvres. Des miracles soulignèrent sa sainteté. Il mourut le 17 janvier 647. (...) Dans le Calvados, le saint est invoqué à Maisoncelles-sur-Ajon (canton de Villers-Bocage) où existe une source miraculeuse."
in Les saints qui guérissent en Normandie d'Hippolyte Gancel, éditions Ouest France 1998.
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